lundi 10 juin 2013

L'innovation, c'est (aussi) ta responsabilité

Cette série de trois articles, compilés ici en un seul article, a été rédigée pour La Ruche Wizbii

On pense trop souvent que l'innovation ne concerne que les élites créatives, les décideurs, bref : les autres. Lors du sondage réalisé en amont du Club Junior-Entreprises du 4 avril 2013, il est apparu que les jeunes français se sentent plus créatifs que la moyenne, mais pensent aussi être bridés en la matière. Martha Heitzmann, Stéphane Distinguin, Ilan Benhaïm et Philippe Torres, intervenants lors de la conférence, ont quasiment déclaré à l'unanimité que c'était avant tout du fait des jeunes eux-mêmes, qui étaient tétanisés dans le monde de l'entreprise. Je partage tout à fait cet avis : voici quelques conseils pour enfin laisser libre court à ta créativité et, qui sait, mettre la France sur la carte du monde de l'innovation.

Quand les contraintes sont avant tout imaginaires

Beaucoup de jeunes sont, à leur arrivée dans le monde du travail, paralysés par un fonctionnement qu'ils ne comprennent pas toujours, des règles qu'ils imaginent très strictes et une hiérarchie qu’ils perçoivent dans la plus pure tradition de l'enseignement : détentrice d'un savoir qu’ils doivent acquérir sans le remettre en question. Donc, premier scoop : les supérieurs hiérarchiques et les collègues plus expérimenté que toi se trompent - sûrement un peu moins que toi, certes, mais pas de beaucoup. C’est aussi valable pour les enseignants, mais c’est un autre sujet. Donc finalement, faire entendre ta voix peut aussi faire avancer en corrigeant des erreurs, ou simplement en proposant des alternatives.
Mais, surtout, les jeunes ont tendance à se méprendre sur ce que l'on attend d'eux : non, dans la plupart des entreprise, on ne souhaite pas que tu sois un simple mouton, c'est simplement la perception que tu en as. Les exemples de nouveaux arrivants qui auraient mieux fait de prendre des initiatives ne manquent pas, comme ce groupe de jeunes consultants qui, devant travailler ensemble  sur un projet, a attendu pendant des semaines que l’entreprise leur valide des licences pour le dispositif interne de vidéoconférences parce qu’ils « ne savaient pas » qu’ils avaient le droit d’utiliser Skype. La solution est simple : laisser de côté le mode de pensée "je ne fais que ce qui m'est explicitement autorisé" pour se rapprocher de "je fais ce qui ne m'est pas interdit". Le mot clé, en toute circonstance, est "oser". Evidemment, on n'insulte pas son boss, mais faire valoir un point de vue différent, ce n'est pas l'insulter !
En effet, la masse a le plus souvent bien plus d'idées, et bien meilleures, que la minorité prenant les décisions ; et ce constat s'impose de plus en plus en entreprise. Pour en témoigner, de nombreux outils se développent dans la veine de l’ancestrale boîte à idée (sur le principe du crowdsourcing) ; des entreprises comme Succeed Together et Stormz organisent par exemple avec succès des séminaires où les équipes de leurs clients sont invitées à brainstormer sur des sujets stratégiques, pourtant traditionnellement l'apanage des dirigeants. Bien entendu, le cadre pour permettre aux employés de faire remonter leurs idées et suggestions n’existe pas encore dans toutes les entreprises ;  cela ne veut pas dire pour autant que c'est interdit !
Si tu oses faire remonter une idée, cela ne pourra qu’être positif pour toi : tu donneras l’impression de chercher à faire avancer les choses, tout en progressant grâce aux retours faits sur ta proposition. Si tu ne trouves personne pour t'écouter, cela n'aura strictement aucun impact pour toi, mais tu pourras éventuellement te rendre compte que l'environnement de travail n'est pas fait pour toi : mieux vaut s'en rendre compte maintenant que plus tard. Attention cependant à ne pas baisser les bras trop vite : si ton idée reçoit un refus de la première personne à qui tu en parles, accroche-toi jusqu’à avoir essayé de convaincre toutes les parties prenantes. De même, ne t’étonne pas si la première personne à qui tu en parles n’y prête pas particulièrement attention. Si c’est un collègue qui s’en moque, va voir ton boss ; si ton boss s’en moque, va voir son boss. Je t’assure que la fois suivante il t’écoutera.
N’oublie pas que le « on a toujours fait comme ça » n’est en aucun cas une justification de quoi que ce soit : ce n’est évidemment pas dans cet état d’esprit que l’on peut innover, progresser ou même se maintenir à son niveau.
Pour résumer : oublie tous les interdits que tu imagines, remets en question la manière dont les choses sont faites et ose proposer tes idées, elles ne sont pas plus mauvaises que celles d’un autre, même quand cet autre dirige l’entreprise !

Si tu ne sais pas… fais

Que l’on se comprenne : je ne t’encourage pas à faire n’importe quoi dans des domaines où tu es joyeusement incompétent ; je propose une solution concrète aux problèmes mentionnés précédemment : le manque de « culot » des jeunes qui n’osent pas et la résistance au changement. Si tu as l’impression que ta boîte se transforme en un magnifique capharnaüm dès que tu as le malheur d’essayer de faire remonter une idée ou un avis quelconque, alors une solution s’impose : fais-le. J’ai passé des années à perdre un temps précieux en discussions stériles avant de me lancer dans chaque projet. Maintenant, j’ai adopté une autre approche : je commence par me lancer dans le projet (ce qui me prend environ la moitié du temps que je passais en palabres), je mets les autres personnes devant le fait accompli, et nous pouvons continuer à travailler ensemble sur le projet. Par exemple, si tu veux suggérer à ton entreprise de rénover son site internet, prépare une maquette, ou réalise toi-même la page d’accueil si tu as les compétences pour, avant d’aller en parler à ton boss. Tu souhaites mettre en place un programme particulier dans l’entreprise ? Assemble un groupe de « bêta-testeurs » parmi tes collègues, et tu pourras ensuite présenter ton projet preuves à l’appui. Basées sur du concret, tes propositions auront d’autant plus d’impact et de chances d’être acceptées.
Au-delà des facilités pour trouver une oreille attentive, cette attitude montre que tu es motivé(e) et capable de mettre la main à la pâte, et que tu n’es pas uniquement un(e) champion(ne) pour donner des leçons et exprimer des vœux pieux. J’ai travaillé avec des personnes extrêmement créatives qui savaient trouver des idées géniales, mais étaient totalement incapables dès qu’il s’agissait de les mettre en œuvre. A toi donc de montrer que tu es d’une autre trempe, et de taille à appréhender des responsabilités.
De manière générale, tes pensées qui te semblent les plus intéressantes doivent systématiquement se traduire en actions. Et le meilleur moyen de t’en assurer est de commencer par agir toi-même. Cela semble évident, mais c’est à cette étape qu’une grande majorité échoue : à toi de faire mieux ! Par exemple, j’ai remarqué que dans mon école d’ingénieurs les élèves passaient un temps fou à critiquer l’existant et proposer des solutions. Ces dizaines d’heures d’un travail pourtant remarquable d’analyse et de résolution de problèmes passées par chaque promotion étaient ainsi perdues sans aucune action concrète engagée, puisque ces idées n’étaient transmises à personne. J’ai donc lancé Ponts ParisTech Refresh, pour permettre aux élèves de discuter par écrit sur la plateforme de ces problèmes et de leurs solutions, pour ensuite en faire une synthèse qui serait remise à l’administration, qui pourrait alors agir. Et, tout à coup, les paroles de 200 personnes se sont transformées en actes, alors qu’elles n’étaient auparavant que paroles en l’air.
Bien entendu, c’est déjà extraordinaire d’avoir des idées, révolutionnaires ou non. Mais c’est un gâchis de s’en tenir là. Ose ! Tu ne risques rien. Tu as le droit de te tromper, vraiment. C’est ma vision du management, et elle est de plus en plus répandue : à part si l’erreur était évidente, tu as allégrement le droit de te tromper une fois. En revanche, tu n’as pas le droit de faire cette erreur une deuxième fois, donc prends le temps d’apprendre de tes erreurs et tu n’auras aucun souci à te faire. Bien sûr, « je suis nul » ou « je n’arriverai jamais à rien » ne sont pas des raisons valables, de même que le manque de chance : prends la peine de trouver les vraies raisons, ça te sera très utile. Pense que les personnes qui ont réussi ne l’ont quasiment jamais fait du premier coup. Sors de l’état d’esprit où tu te demandes ce que tu dois faire, et commence par faire ce que tu maîtrises. Après avoir posé ces premières bases, il sera temps de prendre un peu de recul et de tenter de mobiliser d’autres personnes autour du projet existant.
Il est d’ailleurs à noter qu’il en va de même pour l’entrepreneuriat : une idée d’entreprise ne vaut rien tant que tu ne l’as pas mise en application ! Commence donc par aller parler à des clients potentiels, interviewer des experts du milieu ou lancer une page Launchrock : ce sont ces actions qui te mettront sur la bonne voie et te permettront de n’avoir aucun regret. Car les principaux regrets ne concernent pas ce que nous avons fait, mais ce que nous n’avons pas fait !

La créativité, ça s'entretient

Nous avons parlé précédemment de la manière de proposer et de mettre en œuvre tes idées. C’est bien beau tout ça, mais comment faire si tu n’as pas d’idées ?
Que l’on considère que la créativité est une compétence qui s’acquiert ou une capacité enfouie en chacun de nous que l’on doit exhumer, il est certain qu’elle se travaille. Alors oui, tu peux devenir créatif si tu n’as pas l’impression de l’être. Pour être très franc, j’étais moi-même très sceptique à ce sujet, avant de me découvrir une créativité que je ne me connaissais pas au contact des bonnes personnes et des bonnes méthodes.
Comment faire, donc ? Tout d’abord, l’essentiel est dans le contexte. Ce n’est pas un hasard si les environnements de travail des entreprises les plus créatives sont si particuliers : l’environnement physique tout d’abord (espace, formes, couleurs… tout autant de stimuli potentiels), mais aussi l’organisation même du travail, comme chez 3M et Google, où les ingénieurs ont une part non négligeable de leur temps de travail dédié à des projets personnels (tu as déjà utilisé un post-it ? Et Gmail, ça te dit quelque chose ? Ce sont tous deux des projets personnels d’employés de ces entreprises à la base). Bien entendu, la créativité ne se commande pas : il est inutile de demander à ses équipes une idée révolutionnaire. En revanche, il est bien possible de mettre en place un environnement favorable pour que cela arrive… et de les y former.
Bien entendu, l’environnement seul ne suffit pas. Si tu cherches à résoudre un problème particulier, il faudra commencer par faire preuve de rigueur en prenant le temps d’identifier le problème (le problème qui est immédiatement identifié est la plupart du temps une conséquence du problème source, donc le résoudre soigne les symptômes, mais ne résout rien). Il sera alors temps de chercher une solution. Einstein disait d’ailleurs que s’il avait une heure pour résoudre un problème dont sa vie dépendait, il passerait 55 minutes à poser clairement le problème, et 5 minutes à le résoudre.
En l’absence de problème à résoudre, pas de créativité sans stimulus. L’idée est de commencer par s’entraîner en choisissant des stimuli : une image, un mot, une perception… Le but est simplement que la réaction à un stimulus devienne automatique au quotidien. Car c’est ici que tu pourras exprimer une créativité productive, correspondant à de véritables opportunités : je ne t’apprendrai rien si je te dis qu’un entrepreneur doit savoir reconnaître des opportunités  dans tous les problèmes qui se présentent au quotidien, mais tout l’enjeu est évidemment de savoir appliquer sa créativité à cet effet.
Il faut ensuite savoir effectuer une petite gymnastique cérébrale pour développer sa créativité. Pour schématiser, les deux hémisphères du cerveau ont des rôles différents : le gauche a un fonctionnement très progressif et méthodique, tandis que le droit est capable de réaliser des associations sorties de nulle part. C’est la connexion entre ces deux lobes, et donc ces deux fonctionnalités, qu’il faut travailler pour développer sa créativité. OK, mais concrètement ? L’art est un bon exercice, pour commencer. Mais surtout, la « sérendipité » fait des merveilles : il te suffit de partir d’un stimulus pour dérouler une liste d’associations d’idées (cheval, fer, industrie, machine, ordinateur… Bref, une liste de mots à sortir sans y penser), puis ensuite regrouper ces idées de manière aléatoire en cherchant à leur donner du sens (soit un processus de « divergence-convergence », mais, honnêtement, ça n’a aucune importance).
La bonne nouvelle, c’est que les résultats ne se font pas attendre ! Avec de l’entraînement, tu devrais rapidement être en mesure d’avoir plus idées, plus originales… et de te surprendre toi-même !

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