lundi 9 juillet 2012

Faits et fantasmes sur le paiement mobile

Le paiement mobile est présenté depuis plusieurs années comme le moyen de paiement de demain, mais reste encore très peu utilisé en France, Kwixo ayant récemment fêté son premier anniversaire avec 240 000 utilisateurs seulement. Comme toutes les technologies "de demain", le m-payment nourrit donc de nombreux fantasmes et rumeurs. Petit décryptage.

Le mobile est le moyen de paiement de demain
Un article grand public sur deux au sujet du paiement mobile mentionne dans la première phrase qu'il s'agit du moyen de paiement "de demain". Cela n'a plus vraiment de sens : le paiement mobile est depuis quelques années déjà une réalité. Ce moyen de paiement d'aujourd'hui sera-t-il demain le paiement du passé ou plus fort que jamais ? Les indicateurs semblent assez positifs pour son décollage, mais une analyse des principales études de marché réalisées sur le sujet par Gartner, Juniper et IEMR révèle que chaque année tous les cabinets revoient à la baisse leurs prévisions à 5 ans : le décollage du m-payment se fait vraiment attendre.

Google, Apple, PayPal & co vont rafler toute la mise
La plupart des enquêtes et études de marchés réalisées sur le sujet nous conforte dans l'idée que la solution qui dominera le paiement mobile dans quelques années, quand les services et le marché seront un peu plus matures, n'existe pas encore. Par conséquent, Google Wallet n'est pas parmi les favoris pour l'emporter, du moins dans sa version actuelle. PayPal Here n'est qu'une solution transitoire permettant d'étendre un peu le champ d'action des cartes bancaires. Le Passbook d'Apple ne permet pas encore le paiement, et une éventuelle prochaine solution d'Apple n'est en aucun cas garantie d'un succès fulgurant, malgré des avantages certains.
La solution qui emportera le marché devra regrouper une facilité d'utilisation supérieure à la carte bancaire ou des avantages significatifs, une marque et des services inspirant confiance en termes de sécurité, un réseau de distribution efficace ou un effet viral implacable, des conditions avantageuses pour les commerçant et un bon timing. En théorie, n'importe quel acteur répondant à ces conditions pourra s'imposer, éventuellement en s'entourant des partenaires adéquats. En pratique, personne n'a encore trouvé la bonne alchimie.
Parmi tous ces acteurs, un groupe fait face à des enjeux bien plus importants : les opérateurs de cartes bancaires. Les Visa, Mastercard et autres American Express mettent en effet en danger leur survie même s'ils manquent un tournant du marché des moyens de paiement. Cependant, ils semblent pour l'instant s'être adaptés, et font même partie de bon nombre d'initiatives, grâce à leur réseau sécurisé pour les transactions. Des technologies telles que le PayPass de Mastercard remportent d'ailleurs un réel succès, même si peu appliquées au mobile pour le moment.

En 2020, le mobile sera plus utilisé que la carte bancaire
C'est ce qui est ressorti d'un récent sondage auprès de cadres des secteurs bancaires et mobiles. Même si cette perspective n'est pas exclue, il faut savoir relativiser. Il y a 8 ans, il était déjà possible de payer son billet de bus avec son mobile à San Francisco. Durant les 8 prochaines années, le paiement mobile pourrait se développer aussi lentement qu'il l'a fait depuis 2004, sans compter que la réception assez mitigée des solutions actuelles pourrait finir par refroidir les prétendants au paiement mobile.
Mais 2020, c'est également très loin : d'ici-là, une solution de paiement nouvelle pourrait apparaître et s'imposer devant le paiement mobile : de nombreux acteurs majeurs de leur secteur ont déjà été dépassés par de nouvelles solutions proposées par des entreprises qui n'existaient pas 8 ans auparavant. Mastercard a d'ailleurs utilisé récemment des bracelets rechargeable pour le paiement, pourquoi les puces NFC ne pourraient-elles pas être intégrées dans nos montres d'ici quelques années ?

La France est à la traîne dans le paiement mobile
Ce n'est pas un fantasme, très peu de solutions de paiement mobile existent en France, et le marché ne semble pas aussi prêt que ceux d'autres pays développés, tels que les États-Unis, le Royaume Uni ou le Japon.
La comparaison s'arrête ici, puisque comparer le développement du m-payment en France avec celui au Kenya ou en Malaysie n'a pas vraiment de sens, étant donné que le paiement mobile dans les pays émergents répond à des enjeux complétements différents : il y est une alternative au système bancaire, dans des pays sous-bancarisés mais suréquipés en téléphones mobiles.


Peu de réponses franches existent donc concernant le développement futur du paiement mobile : les prévisions pour le marché mondial varient du simple au double selon les cabinets, et l'extrême complexité des régulations des secteurs de la banque et des télécommunications, ainsi que leur variabilité d'un pays à l'autre, font qu'une vision globale du développement du m-payment est très difficile à obtenir. Même au niveau local, l'évolution des marchés dépendra en grande partie des acteurs présent et de leur perception de leur rôle : lancer une solution de paiement mobile à grand renfort de publicité n'est pas suffisant pour qu'elle marche, et tenter de freiner l'émergence de solutions est à l'inverse totalement dérisoire. Une seule solution existe donc pour les acteurs : lancer le plus rapidement possible une solution ambitieuse, qui fait cruellement défaut au marché français, même si pour l'instant la plupart des acteurs au niveau mondial pêchent par excès de confiance ou de prudence.
Entre mode et tendance de fond, la plupart des analystes ont tranché en faveur d'un changement durable des modes de paiement. Cependant, si le paiement mobile ne décolle pas rapidement, il est probable que les utilisateurs ou les acteurs en deviendront lassés avant même son fonctionnement effectif.

jeudi 26 avril 2012

Sur le web, personne ne vous entend crier

Il y a 10 ans, quand Jean-Marie Le Pen est parvenu au second tour de l’élection présidentielle, les français ont fait entendre leur voix en descendant dans la rue. Aujourd’hui, confrontés à de nombreux enjeux tous aussi capitaux, nous restons inaudibles. Comment cela est-il possible malgré la multitude de moyens d’expression mis à notre disposition ?

L’information est maintenant partout, et occupe les moindres interstices de notre vie quotidienne à l'instar l’air que l’on respire, à tel point qu’elle en devient soumise aux mêmes lois physiques, à savoir un mouvement brownien permanent. Ainsi, les particules politiques, médiatiques ou simplement citoyennes se mettent en marche sans raison, créant une polémique chaque jour nouvelle, relayée par l’arsenal de médias, réseaux sociaux et espaces d’expressions dont nous disposons aujourd’hui. L’époque où un groupe parlementaire déposait une motion de censure pour se faire entendre n’est pourtant pas si lointaine. Aujourd’hui, pour chaque action ou absence d’action, chacun peut lancer ou relayer un déferlement de critiques. Sommes-nous pour autant plus avancés ?
Du point de vue de la portée de ces actions, rien n’est moins sûr : il faut savoir saisir l’information, qui coule en flot continu sur un fil twitter, une timeline facebook, un journal télévisé, un quotidien imprimé, le programme d’une radio ou la page d’accueil de n’importe quel journal en ligne – toute information qui n’est pas saisie immédiatement est perdue. Tout juste la possibilité de partager ces informations permet-elle d’accorder un léger différé et un peu de résonance. De par la nature de ce système, une polémique est donc stérile et très limitée dans le temps : il est impossible de convaincre un nombre croissant de contradicteurs aux capacités d’écoute très variables.
Ainsi, du point de vue de l’impact des avis de chacun, l’effet est encore plus réduit : il est bien connu qu’à force de crier au loup, les alertes perdent en crédibilité. Le bruit de fond constitué par ce déferlement de critiques que l’on connaît en permanence masque donc les prises de position face aux problèmes les plus sérieux. Ces derniers jours de campagne, nombreuses sont les personnes qui auraient voulu se faire entendre pour dénoncer les chemins dangereux sur lesquels s’aventurent les candidats, parfois de manière irréversible. Mais comment obtenir du crédit lorsque l’on a passé plusieurs mois déjà à dénoncer les moindres faits et gestes, parfois anodins, d’un candidat ? Face à cette banalisation du « coup de gueule », il n’existe aucun outil supérieur à ceux que l’on utilise au quotidien. A moins, peut-être, que les médias les plus institutionnels, encore largement imperméables à cet effet, décident de dénoncer des dérives qu’ils ont eux-mêmes en partie cautionnées. La presse écrite et la radio ne font plus partie depuis longtemps de cette catégorie. Internet n’en a jamais été. Faut-il attendre une violente réaction d’un présentateur du 20 heures pour que l’on réalise les grossiers travers de cette France qui nous est proposée ? Une limitation de l'information n'est ni réalisable ni souhaitable, si bien que la surenchère est la seule évolution possible : sans refonte du système démocratique français, nous sommes donc encore loin de pouvoir faire entendre notre voix dans le débat public.

dimanche 4 mars 2012

Du leadership politique

A quoi reconnait-on un leader ? A son allure, son charisme, sa verve, son mordant ? Peut-être. Pourtant, un leader est avant tout une personne que l'on a envie de suivre. Et pour ceci, quoi de mieux que de tracer la voie en donnant l'exemple ?

Les leaders politiques étant restés dans l'Histoire de France sont relativement peu nombreux, et ceux de l'ère républicaine figurent en bonne place parmi les odonymes, en premier lieu Jean Jaurès, figure de l’opposition à la Première Guerre mondiale l’ayant payé de sa vie, et Charles de Gaulle, un des leaders de la résistance, puis acteur de la reconstruction politique du pays. A l'image de ces grandes figures, le leadership politique implique de créer un mouvement. La première chose à faire est de proposer un système de valeurs et une vision commune, l'objectif à atteindre à moyen ou long terme, en général 5 à 10 ans en politique. Il ne semble pas que les actuels candidats à la présidentielle excellent dans ce domaine, la "France forte" étant une idée plutôt vague, et le "changement" du pouvoir en place comme principale perspective étant loin de constituer une vision à long terme. Quant à déclarer que le sujet de la viande halal est la première préoccupation des Français, cela nous pousse à nous demander si les hommes et femmes politiques sont conscients de la nation, et pas seulement de l'électorat. Mais même en convertissant les citoyens à une vision, le plus difficile reste de dépasser les réticences à faire le premier pas, notamment quand celui-ci est désagréable. C'est particulièrement le cas en période de crise.
Lors des réductions de coûts, les patrons les plus consciencieux s'appliquent le même traitement : Gary Kelly, PDG de Southwest Airlines, gela son salaire pendant cinq ans en même temps que celui de ses pilotes. Un geste symbolique plutôt que pratique, mais un vrai acte de leadership. On ne peut que constater le faible niveau de conscience de cet état de fait en politique. Comment Nicolas Sarkozy pourrait-il ouvrir la voie de la rigueur pour la nation alors qu’une de ses premières mesures a été de s’augmenter de plus de 150 %, et qu’il n’a pas renoncé à cette augmentation à l’occasion des plans de rigueurs successifs ? Quelle crédibilité a François Hollande lorsqu’il propose de limiter le cumul des mandats quand il est lui-même dans ce cas ? Comment François Bayrou a-t-il pu consciemment quitter en Audi un meeting lors duquel il avait martelé l’intérêt d’acheter « Made in France » ?
Si l'on note un échec sur le plan symbolique, l'application des trois postures du management aux hommes et femmes d’état n'est pas plus convaincante. La pédagogie est de plus en plus de mise, favorisée par le travail des communicants et autres « plumes » officielles, qui ont grandement contribué à vulgariser les concepts et mécanismes de l'économie et du gouvernement de la nation en général, mais elle est malheureusement trop souvent biaisée par la caricature. L’exigence est bien présente, puisqu’aucun parti ne laisse passer la moindre erreur de ses adversaires. Envers les citoyens ou habitants du pays également, se focalisant selon les partis sur les immigrés, les chômeurs, les riches, les allocataires au RSA… Cependant, ils semblent oublier que l’exigence n’est acceptable que si elle est avant tout appliquée à soi-même. De la même manière, l’engagement est fort en termes de paroles, et souvent d’actes également. Le candidat Sarkozy avait montré l’exemple en 2007 en déclarant que s’il terminait son mandat avec plus de 5 % de chômeurs, il reconnaîtrait publiquement son échec. Mais l'engagement ne suffit pas seul, encore faut-il être efficace : nous restons en attente d’excuses, ou du moins d’explications. Pour s'engager personnellement, il faut appliquer à soi-même ses décisions ou leurs effets, ou s'impliquer dans le résultat. Il faut aussi tenir promesses.
On ne peut pas s’étonner de voir une défiance grandissante des Français envers la politique. Alors que les prix sont en hausse et que l’instabilité de l’emploi se fait oppressante pour une part grandissante de la population, la déconnexion des politiques de la réalité finit par lasser, quand elle n’agace pas. Que signifient donc les décisions qu’ils ont à prendre, à part des calculs comptables ou de popularité, s'ils n'ont pas à en supporter les effets ? Le leadership, ce n’est pas enchaîner des réformes sans rapport les unes avec les autres, rectifier sans cesse ses propositions, se poser en opposition d’un ou plusieurs candidats, prendre pour modèle un autre pays ou stigmatiser une partie de la population pour rassembler les autres. En ces temps de rigueur, du « travailler plus pour faire gagner la France », il serait temps que les politiques prennent leurs responsabilités de leaders et se posent en véritables rassembleurs montrant l’exemple en marchant en tête sur un chemin qui s’annonce certes tortueux mais au bout duquel on peut apercevoir la lumière.
Nous pouvons même nous risquer à dessiner les fondations d'un vrai leadership politique, qui proposerait une réelle vision, soutenue par un slogan qui ne sonne pas creux. Cet objectif à long terme serait étayé par un plan d'action clair, précis et cohérent, contenant des propositions logiques expliquées de manière pédagogique. L'ensemble serait bien entendu soutenu par un dispositif de communication centré autour d'un site internet détaillant et expliquant les propositions du candidat. Ceci s'inscrirait bien entendu dans un débat d'idées plus que de forme, effectué de manière ouverte et honnête. Si l'on est si loin de ce résultat, somme toute logique, c'est parce que les personnes à l'origine des stratégies de campagne ne pensent pas que cela soit nécessaire. Alors que deux tiers des français estiment avoir affaire à une campagne inintéressante et sont de moins en moins certains de savoir pour qui voter, il serait temps d'y songer à nouveau. Le paysage de la politique a déjà muté, il ne reste plus aux hommes et femmes politiques qu'à suivre.

mardi 28 février 2012

Vers la fin de la dynamique du mensonge en politique

Sans aller jusqu'à regretter l'Honnête Homme du XVIIème siècle, dépassé à bien des égards, on peut se demander si la politique peut pour autant se passer d'honnêteté tout court. Entre péremption de l'information et persistance de l'image, le chemin vers une pensée et une communication transparentes et factuelles semble encore bien long. Même si la subjectivité et l’interprétation restent nécessaires au débat politique.

Raccourcis réducteurs, faits inventés, statistiques manipulées, etc. : la malhonnêteté intellectuelle

Derrière ce que j'appelle « malhonnêteté intellectuelle » se cachent en réalité plusieurs phénomènes, observés dans des situations bien distinctes, volontaires ou non, ou utilisés avec des desseins différents.
Tout d'abord, l'omission est probablement le cas le plus répandu. Il est bien entendu possible d'omettre des détails pour simplifier une description, mais occulter des faits révélateurs est en soit nettement plus malhonnête, comme François Bayrou prétendant avoir choisi de ne pas voter le traité de Lisbonne ou la dénonciation du bilan de François Hollande en Corrèze sans préciser le bilan financier à sa prise de fonction.
Assez proche de l'omission, se trouve le raccourci : un abus de langage assimilant deux notions a priori distinctes, un raisonnement aboutissant sans se préoccuper des étapes intermédiaires, une étude considérée comme scientifique sans en vérifier le protocole, les cas ne manquent pas. On peut bien entendu mentionner Claude Guéant et son raccourci entre « cultures », « religions » et « civilisations », mais aussi François Hollande passant un peu rapidement dans son raisonnement des causes de la crise à la finance comme « principal adversaire ».
On peut également citer la manipulation de statistiques, qui consiste le plus souvent à prendre les seules statistiques « positives » d’un échantillon et à oublier le reste, ou à calculer les statistiques dans un cadre bien précis, évidemment favorable. L’exemple le plus connu est le bilan annuel de la lutte contre l’insécurité en France, présenté chaque année comme positif, et dénoncé immédiatement par les experts qui déplorent son manque de signification.
Une des formes de raccourcis les plus répandues, facilement détectable mais difficilement évitable, est la généralisation, soit le fait de penser connaître – pour parfois juger – une population en se basant sur la connaissance d’un trop faible échantillon. Cela amène à proférer un jugement hâtif qui ne rend compte que d’une partie de la vérité. Nicolas Sarkozy peut ainsi déclarer que les charges des salariés français sont deux fois plus élevées que celles des salariés allemands, grâce à un calcul qui n’est valable que sur une tranche étroite de salaires.
De plus, grâce à l’essor de Twitter notamment, les rumeurs et fausses informations pullulent, dues pour la plupart à la non vérification des sources. On peut aussi recenser l’invention pure et simple de faits, cas extrême mais pourtant courant, comme Marine Le Pen dénonçant la mainmise de la viande Halal en Ile-de-France, ou quelques souvenirs impossibles d’hommes politiques, tels Nicolas Sarkozy se remémorant la chute du Mur de Berlin, ou Hervé Morin évoquant le débarquement en Normandie tel qu’il l’a vécu. On pourrait aussi citer, parmi d’autres, le mensonge pur et simple, ou les promesses en l’air, plus que jamais d’actualité en ces périodes électorales. Ce dernier cas reste cependant plus difficile à jauger, car une promesse non tenue n’était pas forcément pour autant une promesse en l’air : le « Travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy en 2007 n’a-t-il été qu’un mirage, ou un véritable projet compromis ?

Dire vrai en politique, à quoi bon ?

Les hommes et femmes politiques doivent occuper l’espace médiatique en permanence. Toute mise en retrait pouvant être fatale, comme le montre la difficulté pour Eva Joly de remonter dans les sondages après son absence de plusieurs mois dans les principaux médias. Il se pose donc pour eux une contrainte de temps qui mène le plus souvent à du recyclage d’anciennes interventions ou l’utilisation de chiffres non vérifiés. Cependant, la spécificité de la politique est le parti pris idéologique, qui pourrait bien souvent se définir comme la défense aveugle d’une position. Ne tombons pas pour autant dans le piège de la nostalgie d’un « âge d’or » de la politique : ces manœuvres ne sont pas nouvelles et étaient déjà de mise du temps de la République Romaine tout comme au XXème siècle.
Pour des raisons inconnues, il semblerait que la meilleure manière de défendre une idéologie soit le refus de reconnaître ses erreurs tout comme la moindre crédibilité à ses adversaires, à quelques exceptions près. A cet effet, une utilisation à outrance est faite de tous les « outils » présentés précédemment. La conséquence est une part très importante – quand elle n’est pas majoritaire – d’information inexacte. Le clivage entre les différents partis s’en trouve donc renforcé, et toute tentative de dialogue avorte inévitablement. Les électeurs eux-mêmes se trouvent confortés dans leur choix en s’entendant répéter que les autres partis mentent, ce qui est partiellement vrai, donc facilement justifiable. Pourtant, un peu d’esprit critique suffirait à se rendre compte que son parti préféré est tout aussi inexact que les autres.

Fatalité ou piste d’amélioration ?

La situation n’est pas catastrophique pour autant, car elle est appelée à changer, chaque campagne tirant les leçons de la précédente. On peut par exemple mentionner les meetings des principaux candidats, qui fournissent eux-mêmes les images aux médias afin de répondre à la demande grandissante de visuels et de parole et de maîtriser jusqu’au moindre détail de l’événement. Cette année, deux leçons principales devraient être tirées de la campagne en termes de communication.
La première, c’est le devoir de vérité. Tout écart est désormais épinglé immédiatement, notamment par des sites collaboratifs spécialisés dans le fact-checking, tels que le Véritomètre 2012 d’i-Télé, et le blog Décodeurs du Monde, mais aussi par des journalistes, experts ou simples citoyens, chacun ayant désormais une tribune ouverte dans la presse en ligne. L’information est ensuite relayée rapidement dans les médias et sur les réseaux sociaux. Cette tendance relativement nouvelle a pour résultat de discréditer de plus en plus le discours des principaux candidats, qui sont les plus présents dans les médias et donc les plus sujets à ce genre de faute. L’effet de bord peut ainsi être un gain de crédibilité des plus petits candidats. Cependant, si les cotes des paris font figure d’indicateurs de l’issue de la présidentielle, la considération des classements de fact-checking pourrait bien changer la face de l’élection. Vers un second tour Mélanchon-Hollande ?
La seconde, c’est le besoin de constance. Les tâtonnements et retours sur ses propositions, qui semblent être en particulier la spécialité de François Hollande, vont devenir de plus en plus difficiles à faire passer, quand la persistance de l’image et des mots sur internet se fait plus insistante, et que des initiatives, telles que Voxe.org, essaient de clarifier les positions des candidats. De la même manière, les approximations sur le programme d’un concurrent afin de mieux l’attaquer, apanage de l’UMP notamment, vont très vite perdre de leur crédibilité et se retourner contre leurs auteurs.

Une stratégie de campagne étant longue à mettre en place, la réponse des candidats à ces nouveaux facteurs se fait attendre. Cependant, comme l’adoption de Twitter – inexistant en 2007 – le montre, il ne s’agit que d’une question de temps. Cela va-t-il pour autant changer la face de cette campagne présidentielle ? Malheureusement non, car les hommes et femmes politiques tout comme les citoyens ont une inertie bien trop importante. Mais pour ceux qui ont déjà en tête l’élection de 2017, il s’agit là d’une piste à creuser.

dimanche 19 février 2012

Mais que valent au juste les diplômes ?


La question n'est pas nouvelle, et elle revient même de plus en plus souvent sur le devant de la scène : à quoi sert un diplôme ? Le cas du patron imposteur de l'aéroport de Limoges la soulève de nouveau, de manière insolite : une personne qualifiée pour cet emploi aurait-elle, finalement, fait un boulot aussi "formidable" ?

Diplôme et compétences, deux notions de plus en plus distinctes

Bien sûr, n'allons pas jusqu'à encourager une imposture ou la mythomanie : face à un recruteur, l'honnêteté reste toujours de mise. Cependant, un cas de ce type nous pousse à nous interroger : si une personne sans qualification ni expérience est en mesure de faire l'illusion en comparaison des professionnels ayant occupé ce poste et face à d’autres professionnels, est-ce grâce aux capacités extraordinaires de cet individu ou à la faible valeur des diplômes... voire de l'expérience dans ce cas ?
Du côté des étudiants eux-mêmes, on en trouvera pour nier en bloc l'apport de leur formation, d'autres pour l'encenser, et d'autres encore, qui auront comparé deux modèles - faculté et grande école, par exemple, ou France et étranger - feront la promotion de l'un aux dépends de l'autre. A qui donner raison ? A tous, semblerait-il : une formation n'a finalement que l'intérêt qu'on lui porte, et certains pourront tirer parti d'une formation qui correspond à leur caractère, leurs intérêts ou leurs attentes, tandis que d'autres n'y verront pas le moindre point positif. Pas un n'est à blâmer pour autant : aucune formation n'est adaptée à tout le monde.
Pourtant, le résultat direct sera une très grande disparité entre les élèves dans l'apprentissage, l'assimilation et l'acquisition de compétence. Ainsi, un élève d'une des grandes écoles les plus prestigieuses pourra être diplômé en étant bien moins compétent qu'un autre élève sortant d'une école de bas de tableau dans le même domaine.

Les classements : de plus en plus innovants, mais toujours aussi dépourvus de sens

Les classements d'établissements, quels qu'ils soient, n'ont donc malheureusement qu'un sens très limité. On pourrait imaginer, à l'image de l'indice évolutif mis en place pour les 50 ans de l'OCDE, un classement personnalisable par chaque élève. Le résultat serait encore bien trop biaisé, car ce qui importe vraiment, à savoir la "philosophie" de l'enseignement, n'est pas vraiment mesurable, et l'élève ne saura pas lui-même ce qu'il recherche avant d'avoir testé.
Ces dernières années, les classements des grandes écoles se sont faits de plus en plus nombreux et innovants, en proposant de nouveaux angles d'approche et en bouleversant l'ordre établi. Même si certains sont intéressants, d'autres sont d'un ridicule extrême, comme celui demandant à des lycéens de classer des écoles qu'ils ne connaissent pas. Finalement, l'ensemble ne fait qu'amplifier un peu plus la confusion qui règne autour de ces classements et gêne la bonne compréhension des différences véritables existant entre ces établissements.

Diplômes et compétences vus pas les entreprises

Du point de vue des entreprises, l'équation semble nettement moins complexe que pour les étudiants choisissant un établissement. En effet, grâce au phénomène ancestral qui fait que les meilleurs élèves de classes préparatoires choisiront la meilleure école - en termes de prestige, un classement immuable - qu'ils pourront intégrer, les recruteurs des grandes entreprises peuvent se contenter de cibler les écoles les plus prestigieuses, de faire un écrémage léger en entretien, et ils seront assurés d'obtenir des candidats de très bonne qualité. Ou plus exactement qui auront réussi en deux ou trois ans à maîtriser quasi parfaitement le programme de classes préparatoires.
Il s'agit là d'une double erreur. D'une part, les compétences attendues sont souvent aux antipodes du travail effectué en prépa, ou même du parcours académique en grande école. D'autre part, ils négligent ainsi tous les étudiants qui se seront révélés dans le cursus beaucoup plus "pratique" des grandes écoles, mais sans être dans les établissements les plus prestigieux. Ceci sans mentionner la pratique encore plus réductrice de certains professionnels consistant à recruter uniquement les élèves sortant de leur propre école. Bien entendu, ce principe est des plus contestables, puisque les élèves sortent peut-être du même moule - encore faut-il que celui-ci n'ait pas changé entretemps - mais il faudrait également qu'ils aient bien accepté ce moule, et rien n'est moins sûr. Ces stratégies de recrutement engendrent des campagnes de communication, très importantes en termes de moyens, ciblées sur un très petit nombre d'écoles. À signaler, le cas curieux des grands cabinets de conseil en stratégie, qui testent de manière approfondie les compétences des candidats à travers des épreuves pratiques, mais n'en restent pas moins extrêmement sélectifs sur les écoles cibles.
Il faut cependant préciser les avancées phénoménales effectuées dans ce domaine par certaines entreprises, qui donnent leur chance à tous les candidats, quelle que soit leur origine - fac, grandes écoles... - mais il ne s'agit pas encore du cas le plus répandu. Certaines sociétés misent aussi sur des compétences particulières, telles que celles apprises en association durant la scolarité : c'est le cas par exemple des partenaires des Junior-Entreprises qui favorisent les anciens membres de ces associations dans leur processus de recrutement.

Du prestige hérité à une différentiation assumée

Finalement, tous les diplômes se valent-ils ? Non, car chaque établissement a ses spécificités. Seulement, la principale différence retenue en pratique est la différence de prestige, qui prend son sens dans la mesure où traditionnellement les étudiants de prépa se tourneront vers les écoles les plus renommées. Les véritables différences existant au niveau de la formation reçue sont ainsi totalement marginalisées, alors que quatre écoles d’ingénieurs généralistes de haut de tableau telles que Polytechnique, les Mines, Centrale et les Ponts sont chacune très différente des autres en termes de cursus proposé.
Quelle solution à cette situation ? Tout d'abord, que les écoles continuent sur leur lancée, ayant pour la plupart déjà pris conscience du fait que leur prestige ne leur garantira pas indéfiniment leur place. Pour cela, il faudra qu'elles mettent de plus en plus l'accent sur leurs facteurs différenciant, en cessant de prétendre comme elles le font actuellement qu'elles sont les meilleures dans tous les domaines et sous tous les aspects. Enfin, il faudra que les étudiants tout comme les entreprises réussissent à s'adapter à ce nouveau modèle, en sélectionnant les écoles selon des critères plus personnels, et non plus selon un classement sans âge. Le modèle s’orientant de plus en plus vers une sélection des diplômés plutôt que des diplômes, les étudiants vont devoir suivre une stratégie de différentiation pour faire face au nombre grandissant des concurrents potentiels, ceci grâce à leur parcours personnels, leurs choix académiques, leur investissement dans les associations scolaires, leurs engagements extra-scolaires et leurs choix professionnels, tels que les stages, césures et autres VIE. La route semble encore longue pour tous ces acteurs de la formation et l’insertion professionnelle, mais il s'agira pourtant très bientôt d'une condition de survie, tant la perception des écoles change rapidement.

mardi 7 février 2012

Peut-on s'unir sans fusionner ?

Synergies, économies d’échelle, complémentarité, différentiation… Les raisons de s’unir, que ce soit à l’échelle d’associations, d’établissements ou même d’états sont multiples. Cependant, même si ces rapprochements sont simples et profitables à tous sur le papier, la mise en œuvre n’est pas pour autant évidente, et de nombreux projets ambitieux battent de l’aile, ou ont échoué pour certains.

Derrière une union, une vision

Précédent et guidant chaque rassemblement, il y a une vision : Gandhi mena les indiens dans une marche du sel pour l’indépendance de l’Inde, Hassan II mobilisa le peuple marocain lors de la marche verte pour récupérer le Sahara occidental…
Du côté des organisations également, les premiers fondements de l’Union Européenne se sont posés vers 1950 quand quelques nations européennes, sous l’impulsion de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, ont vu l’opportunité de s’associer afin de simplifier et de sécuriser les échanges de charbon et d’acier. Récemment, l’Union Européenne s’est dirigée vers un rassemblement tout autant économique que politique ou judiciaire pour suivre un but commun d’unité européenne sur le plan international tout comme dans des aspects de politique intérieure de plus en plus nombreux.
Concernant l’enseignement supérieur, on peut également commenter le cas de ParisTech, association de 12 Grandes Écoles visant à créer un établissement qui puisse rivaliser en taille, en domaines de compétences, en excellence et en réputation avec les plus grandes universités mondiales.

De la coopération aux réalisations

Ces visions et ces ambitions affichées se transformèrent au fil du temps en actes, qui donnèrent lieux à des résultats concrets. L’Union Européenne parvint notamment à créer l’Euro et l’espace Schengen, et à augmenter fortement le nombre de pays membres en intégrant de petits acteurs à la motivation dépassant même celle de certains des acteurs les plus anciens et influents de l’Union.
ParisTech, de son côté, réussit à acquérir une réputation internationale : là où les noms des Grandes Écoles françaises sont toujours autant inconnus, la mention de ParisTech est en revanche significative, en Chine comme aux États-Unis, par exemple. Par ailleurs, les passerelles se sont multipliées entre les écoles, permettant aux élèves de croiser les cursus, ou simplement  d’assister aux cours d’autres établissements.

Les bâtons dans les roues

Cependant, cette progression semble être irrémédiablement freinée à partir d’un certain stade d'avancée, les écueils étant en effet nombreux. Des différences idéologiques, ou simplement de conception du but de l’organisation peuvent notamment exister. Dans l’Union Européenne, par exemple, il faut non seulement compter avec les gouvernements de tous bords des différents pays membres... mais ceux-ci changent de plus régulièrement, et chaque nation a une vision particulière de l’Union, en phase avec sa culture et ses acquis sociaux : une Europe sociale, monétaire, économique, politique, judiciaire, policière, militaire… De la même manière, plusieurs visions s’opposent au sein de ParisTech, d’une association d’écoles cherchant des synergies, à une université de classe internationale bâtie autour de l’École Polytechnique, en passant par une université construite par la fusion des écoles membres, qui aurait pu être amorcée par la fusion de l’École des Mines et de l’École des Ponts, avortée en 2004. La confrontation de ces visions concurrentes est bien entendu alimentée par la bataille des égos des membres, qui peuvent parfois être gargantuesques comme dans le cas des écoles membres de ParisTech, toutes parmi les meilleures dans leur domaine de compétence, et souhaitant avant tout protéger leur identité et leur diplôme.
Face à ces divergences au sujet de la conception que chacun a de l’objet même du rassemblement, même si un consensus peut souvent être trouvé, certains électrons libres s’opposeront invariablement aux projets, ou se désolidariseront de toute initiative. On peut notamment citer le cas du Royaume-Uni en Europe, qui a refusé l’Euro, l’espace Schengen, et plus récemment le pacte de discipline budgétaire.
La liste est ici loin d’être exhaustive, mais on peut aussi citer parmi les obstacles sur la route de la coopération l’inertie créée par les rassemblements, qui, s’ils ne sont pas dotés d’instances dirigeantes dédiées, dotées d’un pouvoir de décision suffisant, peuvent très rapidement sombrer dans l’immobilisme – comme les nombreux « sommets de la dernière chance » pour l’Europe en 2011 l'attestent. Par ailleurs, étant donné que les avantages théoriques du rassemblement sont nombreux, il est logique que les membres se lancent simultanément dans plusieurs organisations, comme au sein de ParisTech où l’École des Ponts s’investit également au sein de Paris Est, et Télécom avec l’Institut Télécom.

Vers un échec programmé ?

Les rassemblements de cette nature sont-ils pour autant voués à l’échec ? Afin d’analyser les mécanismes à l’œuvre, je vais utiliser l’exemple de Juniors ParisTech, spin-off de ParisTech au niveau des Junior-Entreprises. Cet exemple est bien entendu ridicule en termes d’échelle comparé aux deux précédents, mais il a l’avantage de m’être bien plus familier, et l'on y retrouve les mêmes leviers.
Tout d’abord, un rassemblement tel que nous l'avons abordé n’est possible qu’à la condition d’engager les membres : à partir de la vision commune définie, il est nécessaire de convaincre un à un les membres potentiels afin de leur permettre de se retrouver dans cette aventure commune. Cependant, l’enthousiasme qui en résulte est totalement inutile s’il n’est pas canalisé et concentré sur des objectifs et un plan d’action précis. Dans le cas de l’UE et de ParisTech, ce stade a été dépassé avec succès. Malgré cela, la motivation des membres doit être entretenue durant la marche des opérations, ce que ParisTech a partiellement échoué à faire.
Une fois cette première étape franchie, même si les membres de l'organisation font preuve de bonne volonté et agissent dans le cadre d'une stratégie commune avec des processus bien définis, l'écueil de l'inertie est très difficile à éviter, même lorsque les membres sont une poignée d'associations de taille modeste et que l'équipe dirigeante est à la fois motivée est engagée : toute action nécessitant la participation d'un ou plusieurs des membres sera quasi-automatiquement retardée. Ensuite, même si la question de la préservation de l'identité des membres et de la construction d'une identité commune a été abordée, la cohabitation de ces deux notions pour chacun des membres est difficile à gérer, et la coordination au niveau de la fédération est encore plus ardue - chacun privilégiant bien entendu sa propre identité, plus simple à comprendre et à gérer au quotidien.
Enfin, même si la coopération semble acquise malgré cette légère schizophrénie identitaire, on se heurte très rapidement aux différences d'interprétation des principes du groupement, même s'ils semblaient clairs et simples initialement, le clivage étant, pour simplifier, une répartition des membres entre les deux extrêmes "le regroupement n'a qu'une fonction support" et "le regroupement doit être fusionnel".
La conclusion que j'ai tirée de cette expérience, c'est que la meilleure chance de succès pour un regroupement de ce type est de se positionner dans une de ces deux conditions extrêmes, c'est-à-dire une simple fonction support, ou un rassemblement ayant pour objectif une fusion à moyen terme. Toute position intermédiaire, forcément plus difficile à définir, sera sujette à des interprétations divergentes et risquera d'entraîner une lutte de pouvoir pour se rapprocher d'un de ces deux extrêmes. Dans tous les cas, le positionnement doit être clair pour tous les membres, qui doivent y adhérer sans la moindre condition.

Quel avenir ?

Par conséquent, quel avenir pour l'Union Européenne ? Je n'ai pas la prétention de l'entrevoir mieux que les nombreux analystes s'étant déjà penché sur le sujet. La lutte de pouvoir pour déterminer l'orientation de l'Union en ce temps de crise n'aura cependant échappé à personne, et parmi les différents scénarios envisagés, il est aisé d'identifier les deux scénarios extrêmes : d'une part l'explosion de la zone euro, qui ébranlerait sérieusement les fondations de l'Union, d'autre part la constitution d'une union politique, débouchant éventuellement vers de véritables  États-Unis d'Europe. Bien entendu, la grande inconnue reste encore la direction qui sera prise, qui dépendra en partie de nombreux facteurs extérieurs.
Pour ParisTech, malgré des débuts très prometteurs et des résultats encore très encourageants, les signaux semblent être au rouge, comme l'illustre la récente décision à la dernière minute de l' École des Mines de ne pas rejoindre le plateau de Saclay comme cela était prévu.
Même si le rassemblement reste en théorie très attractif, encore faut-il passer l'examen pratique.