Sans aller
jusqu'à regretter l'Honnête Homme du XVIIème siècle, dépassé à bien des égards,
on peut se demander si la politique peut pour autant se passer d'honnêteté tout
court. Entre péremption de l'information et persistance de l'image, le chemin
vers une pensée et une communication transparentes et factuelles semble encore
bien long. Même si la subjectivité et l’interprétation restent nécessaires au
débat politique.
Raccourcis
réducteurs, faits inventés, statistiques manipulées, etc. : la malhonnêteté
intellectuelle
Derrière ce que j'appelle « malhonnêteté
intellectuelle » se cachent en réalité plusieurs phénomènes, observés dans
des situations bien distinctes, volontaires ou non, ou utilisés avec des
desseins différents.
Tout d'abord, l'omission
est probablement le cas le plus répandu. Il est bien entendu possible d'omettre
des détails pour simplifier une description, mais occulter des faits
révélateurs est en soit nettement plus malhonnête, comme François
Bayrou prétendant avoir choisi de ne pas voter le traité de Lisbonne ou la
dénonciation du bilan de François Hollande en Corrèze sans
préciser le bilan financier à sa prise de fonction.
Assez proche de l'omission, se trouve le raccourci : un abus de
langage assimilant deux notions a priori distinctes, un raisonnement
aboutissant sans se préoccuper des étapes intermédiaires, une étude considérée
comme scientifique sans en vérifier le protocole, les cas ne manquent pas. On
peut bien entendu mentionner Claude Guéant et son raccourci entre
« cultures », « religions » et « civilisations »,
mais aussi François Hollande passant un peu rapidement dans son raisonnement
des causes de la crise à la finance comme « principal adversaire ».
On peut également citer la manipulation de statistiques, qui consiste le plus souvent à
prendre les seules statistiques « positives » d’un échantillon et à
oublier le reste, ou à calculer les statistiques dans un cadre bien précis,
évidemment favorable. L’exemple
le plus connu est le bilan annuel de la lutte contre l’insécurité en France,
présenté chaque année comme positif, et dénoncé immédiatement par les experts qui
déplorent son manque de signification.
Une des formes de raccourcis les plus répandues,
facilement détectable mais difficilement évitable, est la généralisation, soit le fait de penser connaître – pour parfois
juger – une population en se basant sur la connaissance d’un trop faible
échantillon. Cela amène à proférer un jugement hâtif qui ne rend compte que
d’une partie de la vérité. Nicolas Sarkozy peut ainsi déclarer que les
charges des salariés français sont deux fois plus élevées que celles des
salariés allemands, grâce à un calcul qui n’est valable que sur une
tranche étroite de salaires.
De plus, grâce à l’essor de Twitter notamment, les
rumeurs et fausses informations pullulent, dues pour la plupart à la non
vérification des sources. On peut aussi recenser l’invention pure et simple de
faits, cas extrême mais pourtant courant, comme Marine
Le Pen dénonçant la mainmise de la viande Halal en Ile-de-France, ou
quelques souvenirs impossibles d’hommes politiques, tels Nicolas
Sarkozy se remémorant la chute du Mur de Berlin, ou Hervé
Morin évoquant le débarquement en Normandie tel qu’il l’a vécu. On
pourrait aussi citer, parmi d’autres, le
mensonge pur et simple, ou les promesses en l’air, plus que jamais
d’actualité en ces périodes électorales. Ce dernier cas reste cependant plus
difficile à jauger, car une promesse non tenue n’était pas forcément pour autant
une promesse en l’air : le
« Travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy en 2007
n’a-t-il été qu’un mirage, ou un véritable projet compromis ?
Dire
vrai en politique, à quoi bon ?
Les hommes et femmes politiques doivent occuper
l’espace médiatique en permanence. Toute mise en retrait pouvant être fatale,
comme le montre la difficulté pour Eva Joly de remonter dans les sondages après
son absence de plusieurs mois dans les principaux médias. Il se pose donc pour eux
une contrainte de temps qui mène le plus souvent à du recyclage
d’anciennes interventions ou l’utilisation de chiffres non vérifiés. Cependant,
la spécificité de la politique est le parti pris idéologique, qui pourrait bien
souvent se définir comme la défense aveugle d’une position. Ne tombons pas
pour autant dans le piège de la nostalgie d’un « âge d’or » de la
politique : ces manœuvres ne sont pas nouvelles et étaient déjà de mise du
temps de la République Romaine tout comme au XXème siècle.
Pour des raisons inconnues, il semblerait que la
meilleure manière de défendre une idéologie soit le refus de reconnaître ses
erreurs tout comme la moindre crédibilité à ses adversaires, à
quelques exceptions près. A cet effet, une utilisation à outrance est faite de
tous les « outils » présentés précédemment. La conséquence est une
part très importante – quand elle n’est pas majoritaire – d’information
inexacte. Le clivage entre les différents partis s’en trouve donc renforcé, et
toute tentative de dialogue avorte inévitablement. Les électeurs eux-mêmes se
trouvent confortés dans leur choix en s’entendant répéter que les autres partis
mentent, ce qui est partiellement vrai, donc facilement justifiable. Pourtant,
un peu d’esprit critique suffirait à se rendre compte que son parti préféré est
tout aussi inexact que les autres.
Fatalité
ou piste d’amélioration ?
La situation n’est pas catastrophique pour autant, car
elle est appelée à changer, chaque campagne tirant les leçons de la précédente.
On peut par exemple mentionner les meetings des principaux candidats, qui
fournissent eux-mêmes les images aux médias afin de répondre à la demande
grandissante de visuels et de parole et de maîtriser jusqu’au moindre détail
de l’événement. Cette année, deux leçons principales devraient être tirées de
la campagne en termes de communication.
La première, c’est le devoir de vérité. Tout écart est
désormais épinglé immédiatement, notamment par des sites collaboratifs
spécialisés dans le fact-checking, tels que le Véritomètre 2012 d’i-Télé, et le blog Décodeurs du
Monde, mais aussi par des journalistes, experts ou simples citoyens, chacun
ayant désormais une tribune ouverte dans la presse en ligne. L’information est
ensuite relayée rapidement dans les médias et sur les réseaux sociaux. Cette
tendance relativement nouvelle a pour résultat de discréditer de plus en plus
le discours des principaux candidats, qui sont les plus présents dans les
médias et donc les plus sujets à ce genre de faute. L’effet de bord peut ainsi
être un gain de crédibilité des plus petits candidats. Cependant, si les
cotes des paris font figure d’indicateurs de l’issue de la présidentielle, la
considération des classements
de fact-checking pourrait bien changer la face de l’élection. Vers un
second tour Mélanchon-Hollande ?
La seconde, c’est le besoin de constance. Les tâtonnements
et retours sur ses propositions, qui semblent être en particulier la spécialité
de François Hollande, vont devenir de plus en plus difficiles à faire passer,
quand la persistance de l’image et des mots sur internet se fait plus
insistante, et que des initiatives, telles que Voxe.org,
essaient de clarifier les positions des candidats. De la même manière, les approximations
sur le programme d’un concurrent afin de mieux l’attaquer, apanage de
l’UMP notamment, vont très vite perdre de leur crédibilité et se retourner
contre leurs auteurs.
Une stratégie de campagne étant longue à mettre en
place, la réponse des candidats à ces nouveaux facteurs se fait attendre.
Cependant, comme l’adoption de Twitter – inexistant en 2007 – le montre, il ne
s’agit que d’une question de temps. Cela va-t-il pour autant changer la face de
cette campagne présidentielle ? Malheureusement non, car les hommes et
femmes politiques tout comme les citoyens ont une inertie bien trop importante.
Mais pour ceux qui ont déjà en tête l’élection de 2017, il s’agit là d’une
piste à creuser.