dimanche 18 septembre 2011

A-t-on le droit de s'ennuyer en cours ?


Avant-propos : le point de vue exprimé dans cet article n’est pas applicable pour moi aux études précédent le baccalauréat, voire même aux deux premières années post-bac, selon les formations. Ces années d’étude ont en effet pour but d’inculquer une base de connaissance commune aux élèves avant toute spécialisation.


Malgré des parcours toujours plus personnalisés et une participation de plus en plus forte des étudiants à leur formation, ceux-ci continuent à s’ennuyer dans de nombreux cours. Analyse et pistes de résolution d’un problème touchant quasiment chaque élève.


A qui la faute ?

Septembre 2011, au siège parisien d’un cabinet de conseil international en systèmes d’information. Un intervenant extérieur, chercheur dans une des plus grandes universités américaines, a été convié à animer une formation d’une journée à une partie du management du cabinet. Cette formation, d’un intérêt stratégique, pourrait marquer un tournant dans la méthodologie du cabinet, tant au niveau de l’approche des problèmes que des solutions proposées. Cependant, la formation est un désastre. Au bout de deux heures, les deux tiers des participants ont déjà décroché, un quart ne reviendra même pas l’après-midi pour la deuxième partie et aucune décision ne sera prise par le management suite à cette journée.

Pourtant, à aucun moment les participants à cette formation ne seront mis en cause, même de façon minime. Pour tous, la faute incombe au formateur. A-t-il pêché sur le fond ? Sur la forme ? Peu importe, la formation n’était pas à la hauteur des attentes. Malgré le plan d’action déjà élaboré pour la suite, la non-adhérence du management aux nouvelles méthodes proposée coupe court à toute velléité de changement.


Nous sommes toujours en septembre 2011, cette fois-ci dans une salle de classe d’une école d’ingénieurs parisienne. Il s’agit du premier cours de l’année du module nanomatériaux. Ici aussi, les attentes du « management » – c’est-à-dire l’administration de l’école – sont élevées : les 26 élèves assistant au cours devront y obtenir une note minimale de 10/20, même s’ils ne savent pas encore sur quoi ils seront évalués. Pourtant, ici aussi, le cours est un échec : moitié des élèves n’assisteront déjà plus au cours à la 3ème séance, la moyenne de classe à l’issue du trimestre sera de 11 et 6 élèves ne valideront pas le module.

Pourtant, ici, les participants à cette formation qu'ils ont choisie seront tenus pour premiers responsables de cet échec. Bien entendu, le professeur sera probablement encouragé à revoir son cours et sa pédagogie ou à laisser sa place, mais cela n'impactera en aucun cas les résultats des élèves, remettant pour certains en cause la validation de leur année.

Pour un même problème dans deux milieux différents, les réactions sont tout à fait opposées. Pourquoi ?


Une affaire d'exigences

Si les exigences en entreprise, bien plus élevées que dans le milieu scolaire, déroutent parfois les jeunes diplômés, il peut en être de même pour les intervenants.

Le problème d’un cours ennuyeux n'est que très rarement – voire quasiment jamais – dû à un manque de compétences sur le sujet enseigné. Les professeurs sont même généralement des experts dans leur domaine, dont les connaissances vont bien au-delà du champ couvert par le cours. En réalité, la quasi-totalité des cours jugés inintéressants le sont à cause d'un défaut de pédagogie ou de compétences en communication.

Dans le premier cas, cela peut venir d’un manque de compréhension des attentes des étudiants par le professeur. Un élève choisissant un cours sur la propriété intellectuelle cherchera vraisemblablement plus à apprendre comment déposer concrètement un brevet et protéger ses créations qu’à connaître par cœur tous les lois et décrets sur le sujet.

Dans le second cas, c’est simplement que communiquer ne s’improvise pas. Enseigner à une classe est même un exercice de communication très complexe, qui est beaucoup plus simple à acquérir et mettre en œuvre pour des enseignants à plein temps que des chercheurs ou des professionnels enseignant de façon ponctuelle. Ainsi, des spécialistes proposant un cours extrêmement riche en termes de contenu pourront échouer à transmettre leur savoir pour avoir simplement oublié de se demander comment ils pourraient présenter ce contenu.

Je n’ai pas la prétention d’apprendre à quiconque comment enseigner, mais de mon point de vue, une approche résolument orientée élèves – c’est-à-dire orientée « clients » – sera a priori mieux reçue par l’audience. La question n’est en effet pas de savoir ce que je veux enseigner aux élèves, mais ce qu’ils ont besoin de savoir impérativement dans un premier temps, et pour aller plus loin dans un second temps. En effet, la meilleure manière d’être certain que les élèves seront intéressés par le message reçu est de les laisser aller chercher eux-mêmes les informations complémentaires qui les intéresseront. Cela laisse ainsi plus de place en classe à l’apprentissage des fondamentaux et aux applications pratiques.


Conclusion

A-t-on le droit de s’ennuyer en cours ? De toute évidence, oui, personne ne peut obliger un élève à se passionner pour une matière qui est le cadet de ses soucis, ou mal enseignée. A-t-on pour autant le droit de ne pas aller en cours ? Pas toujours : il faut bien entendu prendre en compte la politique en la matière de l’école ou de l’université, et l’importance du cours dans son cursus personnel. Par ailleurs, il faut commencer à se poser des questions sur son orientation et sa motivation si aucun cours ne nous plait.

Je ne fais pas ici un réquisitoire contre l’enseignement supérieur, bien au contraire : la grande majorité des cours que j’ai suivis au cours de mes études supérieures étaient passionnants, sinon intéressants. Cependant, quelques cours viennent ternir ce tableau, étant à même de faire baisser cet intérêt pour les sujets enseignés, de donner envie d’abandonner les études ou de mettre en danger une scolarité. Que peut-on faire alors ? Ma première recommandation est de changer de cours si c’est autorisé par l’établissement. Ensuite, il s’agit de s’assurer que ce problème sera réglé :

  • En n’hésitant pas à aller voir l’administration de l’établissement pour lui en faire part
  • En prenant le temps d’exprimer ses impressions et suggestions à l’occasion de l’évaluation de fin de cours, de plus en plus répandue
  • En mettant en place un outil de crowdsourcing de type Refresh, afin de trouver des solutions aux problèmes rencontrés par les étudiants à l’échelle de l’établissement

Tout ceci en gardant à l’esprit que toute démarche de ce type doit se faire le plus objectivement possible, toute exagération ou généralisation faisant perdre instantanément toute crédibilité.

mercredi 6 juillet 2011

Le crowdsourcing, outil clé du Nouvel Ingénieur

Le Nouvel Ingénieur est un regroupement d’élèves d’écoles d’ingénieurs qui propose et met en place des idées concrètes d'évolution des formations. L’association a nommé il y a quelques semaines un collège de 5 personnes chargé de structurer l’association, pour un lancement effectif en septembre 2011. Faisant partie de ce collège – plus particulièrement en charge de la coordination des Écoles membres du réseau, pour l’instant une dizaine – je ne manquerai pas de reparler de ce projet sur ce blog.

Qu’est-ce que le crowdsourcing ? [adapté d’un article de Thibaut Labarre et Maylis Brandou pour le Nouvel Ingénieur et l’Institut Montaigne]
Les grandes écoles dispensent des formations de très haut niveau à des étudiants préalablement sélectionnés et qui constituent un vivier d’idées neuves et innovantes qui ne demande qu’à être exploité.
L'arrivée en école introduit une rupture après deux années de classe préparatoire. Les étudiants doivent dès lors être encouragés à devenir acteurs de leur formation en étant plus impliqués par exemple dans la compréhension des enjeux auxquels doit faire face leur école. Les anciens élèves constituent également un vivier précieux qu’il conviendrait d’associer au processus puisqu’ils ont notamment plus de recul et plus d’expérience pour formuler des propositions constructives. En termes de réflexion et de consultation, le principal outil du Nouvel Ingénieur est le crowdsourcing.
En français « externalisation ouverte », c’est un néologisme conçu en 2006 sur les mots « outsourcing » (externalisation) et « crowd » (la foule) pour caractériser l'un des domaines émergents du management de la connaissance. A travers des plateformes d’échange ouvertes, le crowdsourcing fait appel à la créativité, à l'intelligence et au savoir-faire d'un grand nombre de personnes pour que des problèmes qui requièrent traditionnellement l'attention d'experts trouvent des solutions originales et rassemblent des personnes motivées pour les mettre en œuvre. La mise en place du crowdsourcing s'appuie sur des outils de communications qui permettent d'intégrer efficacement les différentes contributions. L'outil Google Moderator en est un exemple. Il est utilisé par Le Nouvel Ingénieur depuis janvier 2011 pour offrir aux élèves la possibilité de mener une réflexion collaborative sur l'évolution de la formation en grande école d'ingénieur française. A ce jour, 76 personnes y ont proposé 96 idées d'évolution des formations et ont voté pour faire émerger les meilleures propositions.
Le crowdsourcing crée une situation gagnant-gagnant. Les étudiants sont les premiers bénéficiaires des retombées d'un tel système : ils peuvent contribuer à façonner leur parcours pour que celui-ci réponde à leurs attentes et leur permette de s’épanouir. Quant aux écoles, elles tirent profit d'une source d’innovation et de créativité qui leur permet d’être très certainement plus compétitives et plus réactives. Disposer d’une structure d’échange et de dialogue permet en outre de faire évoluer de manière positive les points de frustration que toute école peut rencontrer.

Le crowdsourcing : de l’idée à la mise en place
Les précurseurs en la matière sont trois étudiants de Télécom ParisTech, qui ont mis en place début 2011, avec le soutien de leur administration, une plateforme de crowdsourcing pour faire évoluer tous les aspects de la formation à l’école grâce aux propositions des élèves.
A la suite de cette initiative, deux projets similaires se sont lancés en parallèle, l’un à l’ENAC, porté par Thibaut Labarre et Clément Martin, fondateurs du Nouvel Ingénieur, et l’autre à l’École des Ponts ParisTech, porté par moi-même, aidé d’une équipe de personnes intéressées par le projet. C’est d’ailleurs dans le cadre de ce projet que j’ai été amené à rencontrer Thibaut et Clément et à rejoindre le Nouvel Ingénieur.
Concernant la réalisation technique, la plateforme Telecom Refresh est une adaptation du CMS Pligg et Ponts ParisTech Refresh est une plateforme développée de zéro. Pour ENAC Refresh, il me semble qu’un Google Moderator a été lancé dans un premier temps.

Vers un outil de crowdsourcing open-source pour les écoles
Le Nouvel Ingénieur souhaite permettre un développement bien plus large du crowdsourcing et mettre à disposition une plateforme open source facile à déployer à chaque école qui en fera la demande. Cette plateforme devra permettre de répondre aux principales problématiques spécifiques au crowdsourcing en grande école, notamment la nécessité de pérenniser le système et d’effectuer un suivi des idées proposées et de leur implémentation.
Pour pouvoir mener à bien ce projet qui se basera a priori sur l’excellente base de travail réalisée par Nicolas Seichepine pour Ponts ParisTech Refresh, des bonnes volontés sont nécessaires, tant au niveau programmation que design et ergonomie, mais également des personnes sans compétences particulières qui souhaiteraient faire avancer les choses. En tant que porteur de ce projet pour le Nouvel Ingénieur, je suis ouvert à toute proposition, candidature ou demande de renseignement si vous voulez faire bouger les choses dans votre école, créer une interface directe entre élèves et administration ou si vous êtes curieux ou intéressé par le sujet : pour ça, vous pouvez me contacter ou rejoindre le projet sur Wizbii.

samedi 25 juin 2011

Notre génération sera télétravail ou ne sera pas

Notre génération sera-t-elle celle du télétravail ? Comme le résumait très bien ParisTech Review dans un article paru en mars dernier, le télétravail est une grande révolution amorcée… il y a 40 ans, et qui ne concerne toujours à plein temps que 2 % de la population active en Europe et aux États-Unis.


Une révolution qui prend son temps

Pourquoi le télétravail ne décolle-t-il pas ? Une raison nous semble évidente : un employé travaillant à domicile est moins facilement contrôlable, il est par conséquent moins productif. Cependant, certaines études menées sur le sujet montrent une tendance inverse, la mise en place du télétravail s’accompagnant parfois de formations pour apprendre la gestion de leur temps de travail à des employés qui, libérés des contraintes de transport ou de relations humaines parfois tendues, peuvent travailler assez tard le soir.

En revanche, la réticence au changement est un argument bien plus sérieux. Du côté du management, elle est amplifiée par l’appréhension d’une situation totalement nouvelle où l’on a l’impression de ne plus avoir de prise sur ses équipes, et où l’on peine à leur faire confiance. Du côté des employés, il existe une crainte de ne plus voir leur travail reconnu à sa juste valeur – alors que, finalement, le résultat reste évalué de la même manière. La peur de voir sa vie sociale considérablement réduite est également loin d’être neutre dans l’équation, notamment pour les célibataires – plus de 15 % des couples mariés se sont d’ailleurs rencontrés dans le cadre professionnel. Travaillant actuellement en tant que consultant dans un cabinet d’une cinquantaine de personnes, mais toujours en déplacement chez le client, je trouve agréable – sinon indispensable – de passer une fois par semaine au cabinet afin d’échanger avec mes collègues. Le télétravail doit pour moi s’intégrer dans ce cadre : pourquoi ne pas faire du lieu de travail un « hub », un lieu de passage libre, quitte à se mettre d’accord avec les collègues avec qui l’on s’entend le mieux pour venir au bureau un jour précis de la semaine ? Cela rejoint notamment la méthode de management préconisée et utilisée par Leen Zevenbergen, président de Qurius.

Plus qu’économiques ou technologiques, les raisons sont donc avant tout sociales.


Les jeunes au (télé)travail

Comme je m’intéresse sur ce blog à l’enseignement et l’insertion professionnelle, concentrons-nous sur l’entrée de notre génération sur le marché du travail.

Pour la plupart des personnes terminant leurs études, le monde professionnel est de toute façon une nouveauté : il semblerait logique qu’aucune peur du changement ne puisse entrer en compte ici. Paradoxalement, ce n’est pas le cas : pour un bon nombre des étudiants ou des jeunes actifs avec qui j’en ai discuté, le télétravail fait peur – je n’ai pas tenu de compte précis. D’une part, le télétravail rompt avec le monde du travail tel qu’ils se le représentent, de par la vue qu’ils ont de la vie professionnelle de leurs parents et les différentes ouvertures sur le sujet durant les études, même s’ils n’ont eux-mêmes aucune expérience de cette réalité. D’autre part, il existe un défaut de confiance en soi : ils ne sont pas si nombreux à se sentir capables de travailler sans avoir un chef sur le dos. Pour répondre au premier point de blocage, seule l’entrée du télétravail dans les mœurs pourrait faire bouger les choses. Pour le second, il est pour moi révélateur d’un manque d’autonomie à l’issue des études, du moins en Grande École d’Ingénieurs : l’étudiant n’y apprend pas suffisamment à faire les choses seul, et par là-même à se faire confiance.

Pourtant, à bien y regarder, les études reposent quasi-exclusivement sur le télétravail. Il est en effet nécessaire de travailler en dehors des cours pour réviser ou pour effectuer un projet. Ce temps n’est comptabilisé par personne, et n’a finalement que peu d’importance. Le vrai critère sera la qualité de ce travail, et, surtout, le résultat, sanctionné par une note. C’est exactement le principe du télétravail. Bien entendu, selon son ambition, chacun y consacrera plus ou moins de temps et d’énergie, qu’il s’agisse du travail scolaire, du télétravail ou du travail au bureau. Il serait donc injuste d’affirmer que les jeunes sont moins dignes de confiance que leurs collaborateurs plus expérimentés, alors qu’ils n’aspirent au contraire qu’à être reconnus – une fois la phase de recherche d’un métier passée, bien entendu – et sont déjà dans la dynamique du télétravail, contrairement à leurs collègues. De plus, il est encore pire de prétendre protéger les nouveaux venus sur le marché du travail en leur évitant l’expérience déstabilisante du télétravail, puisqu’ils s’agit de la seule expérience qu’ils ont. Il ne faut cependant pas lâcher dans la nature un employé inexpérimenté : à l’image des études, qui alternent travail encadré – les cours et travaux pratiques – et travail libre – les révisions, les exercices et autres projets – la phase de formation indispensable passe par une alternance entre télétravail et présence physique.

L’autre point à l’avantage de notre génération est bien entendu la connaissance et la maîtrise, dans la plupart des cas, des nouvelles technologies, en particulier pour la communication. Même s’il est vrai que les applications professionnelles nous restent relativement inconnues, l’assimilation des nouveaux outils fait partie intégrante de notre vie et de nos études, des réseaux sociaux aux sites d’organisation et de partage – Producteev, PearlTrees, Google Documents, Wizbii, etc.


Un avènement incertain

Pour autant, cette décennie sera-t-elle celle du télétravail ? Rien n’est moins sûr. Pour que les facteurs que nous venons de mettre en évidence jouent leur rôle, il faudrait qu’une véritable demande émerge de manière visible de la part des jeunes diplômés, et rien ne semble l’indiquer à ce jour. Une certaine population réclame cependant ce télétravail : les employés en déplacement professionnel fréquent travaillent en réalité en permanence à distance, il paraît donc logique de pouvoir travailler chez soi tout comme l’on travaille dans le train, l’avion ou dans une chambre d’hôtel. Malgré ces éléments, le télétravail reste pour l’heure assez confidentiel, souvent réservé à des cas particuliers pour lesquels les enjeux économiques ou sociaux le rendent très avantageux, voire incontournable.

vendredi 17 juin 2011

De l'importance de l'actualité dans l'enseignement supérieur

Même si l’ouverture sociale et culturelle en Grande École d’Ingénieurs progresse rapidement, cette évolution n’est pas homogène. La place accordée aux entreprises, aux conférences ou aux débats s’améliore, complétant ainsi la vision macroscopique des cours magistraux par une vision intermédiaire. Ce qu’il manque, c’est une vision microscopique, les exemples qui viendront illustrer, voire éclairer, cette vision du monde que constitue l’enseignement.


Se tenir au courant de l’actualité, c’est d’abord connaître le monde dans lequel on vit. S’ancrer dans la réalité n’est pas si simple dans le microcosme des Grandes Écoles. Celles-ci sont sensées être le lieu où se forge notre vision du monde, ce qui n'est pas une mince affaire étant donné que le seul lien dans l'enseignement en prépa scientifique avec le monde réel et l'actualité est... le cours de langue. En arrivant en École, s'intéresser à ce qui se passe autour de nous est donc loin d'être un réflexe. Souvent, des quotidiens nationaux en version papier ou des abonnements électroniques sont disponibles gratuitement dans les établissements. La mise à disposition des moyens n'est donc pas un problème, encore faut-il donner l'envie de lire qui, finalement, permettra de replacer l'enseignement dans son contexte : un fait divers, une actualité sur une entreprise ou encore la présentation d'un projet d'avenir pourront ainsi être mis tout naturellement en relation avec les cours de mécanique des fluides, d'aménagement ou de marketing suivis le jour même. Ceci permet non seulement de voir l'actualité sous un œil neuf, mais aussi de trouver du sens ou de l'intérêt dans des cours qui semblent parfois déconnectés de la réalité. Le cours de droit prend ainsi tout son sens lorsqu'il est illustré par les déboires judiciaires d'un homme politique ou par un conflit de propriété intellectuelle entre deux entreprises. Le cours d'économie n'a que plus d'attrait quand il permet de comprendre les problèmes rencontrés par la Grèce et l'Irlande.


L'actualité est également un formidable outil de développement de l'esprit critique. Pour cela, nul besoin de s'efforcer à chercher la moindre faille dans le raisonnement du journaliste. Dans un premier temps, tout semble cohérent, les articles sont vus comme des vecteurs d'une information qui nous arrive intacte. Puis, un jour, une grossière faute de conjugaison dans le titre d'un article amène à se dire que, finalement, l'article n'est pas exempt de défauts, et que ce que dit l'auteur est susceptible d'être biaisé, incomplet ou inexact. Au bout de quelques semaines, les erreurs commencent à se révéler de plus en plus nombreuses dans les articles, les détails passent de moins en moins inaperçus, comme lorsqu'il était affirmé, à l'occasion de l'incendie de l'Elysée-Montmartre, que le bâtiment a été construit en 1807 sur une structure de Gustave Eiffel – toute personne sachant que la Tour Eiffel a été bâtie pour l'Exposition Universelle de 1889 aura de sérieux doutes au sujet de cette affirmation. Ainsi, au bout de quelques mois, sans avoir l'impression d'avoir fourni le moindre effort, on se découvre un sens critique aiguisé, apte à remettre en question les informations qui nous sont servies. Ce sens critique permet alors de pouvoir faire la part des choses dans ce qui nous est proposé ou exposé, mais également d'être informé du contexte dans lequel nous évoluons.


Bien. Mais à quoi cela sert-il ?


D'une part, à être un citoyen plus éclairé, dans ses choix et dans ses votes. D'autre part, à s'affirmer en tant qu'individu : dans des négociations ou des débats, s'appuyer sur l'actualité et des faits permet toujours d'opposer des arguments palpables à son interlocuteur. D'une manière plus intime, nos choix personnels ou choix de carrière seront toujours plus réfléchis : est-ce judicieux de se diriger dans une filière en forte perte de vitesse ? Pourtant, il y a forcément un revers de la médaille. En l'occurrence, il s'agit en quelque sorte d'une "déformation professionnelle", puisque le monde qui nous entoure est vu à travers le prisme de cette actualité à laquelle on s'intéresse. Comme lorsque dans le métro, on pense à ce que va devenir la ligne 14 avec le Grand Paris, ou lorsqu'en week-end à la Rochelle, on se demande quelles sont les caractéristiques du marché des grues portuaires, ses acteurs, la concurrence, le modèle économique...


Il reste maintenant une question en suspens : comment ? Le premier contact avec l'actualité, ce sont les gros titres que l'on peut lire dans la rue. Evidemment, cette approche est assez limitée. Passons en revue les différents médias existants :

· Parmi les médias très largement utilisés, on peut compter la radio et la télévision - pour ma part, alors que j'écoutais régulièrement France Info en prépa, j'ai laissé de côté ces deux médias, qui ne donnent qu'un aperçu des gros titres sans permettre d'aller voir plus en détails les sujets qui nous intéressent ; sans parler des images purement décorative la plupart du temps à la télévision ;

· Ensuite, vient la presse papier, nationale ou régionale, ainsi que la presse électronique. En ce qui me concerne, je suis abonné aux newsletter LeMonde.fr et lesechos.fr, et je passe également régulièrement sur les sites mêmes. Je n'ai pas pris pour l'instant d'abonnement payant à ces deux sites, l'"actuphagie" m'étant venue assez récemment, je trouve largement de quoi faire avec ceux-ci ;

· Dans le métro, je lis aussi régulièrement Métro, Direct Matin ou 20 minutes, soit pour être au courant de l'actualité parisienne, soit pour repérer les titres que j'irai voir plus en détails sur internet dans la journée ;

· Mais l'actualité, ce n'est pas que la politique, la société, les faits divers ou l'économie, c'est aussi et surtout ce qui nous intéresse. Je passe donc régulièrement sur Allociné, et occasionnellement sur 2kmusic et jeuxvideo.com ;

· Et comme l'actualité peut tout autant prêter à (sou)rire qu'à réfléchir, je suis un inconditionnel du blog l'Actu en patates de Martin Vidberg.

J'espère avoir ici donné matière à découvrir un peu le monde qui nous entoure. Mais qu'en est-il de ceux qui ne seraient pas prêts à faire cet effort, ou n'y seraient pas sensibilisés ? Une infinité de solutions sont envisageables en école ou université, plus ou moins difficiles à mettre place. Je précise qu'il s'agit de vœux pieux et de pistes de réflexion, puisque je n'ai jamais eu le temps ni l'opportunité de mettre en œuvre ces propositions :

· On peut tout d'abord envisager une revue de presse présentée une à deux fois par semaine par un groupe d'élèves chaque fois différent, où chacun présente un sujet d'actualité qu'il a envie de partager. Une sorte de journal "live" ;

· Si l'établissement publie un journal, rien n'empêche d'y inclure une partie "actualités", il est même envisageable de créer un journal pour les établissements dotés d'une chaîne de télévision ou d'une station radio ;

· Un groupe d'élèves motivé par le sujet peut proposer à ceux qui sont intéressés de s'abonner à une newsletter d'actualité, qui paraîtrait une à deux fois par semaine, présentant un patchwork d'articles trouvés sur internet et les liens pour aller plus loin.

Le maître mot en la matière est "partage". L'avantage incontestable de l'information par les étudiants pour les étudiants est l'assurance de traiter de sujets qui intéressent la plupart des personnes visées, soit parce qu'ils concernent le domaine d'étude de l'établissement, soit parce qu'ils touchent directement aux centres d'intérêts des étudiants ou à leur localisation géographique.

vendredi 10 juin 2011

Recherche de stage : et pourquoi pas une start-up ?




Start-up, TPE, PME, Grand Groupe… Que choisir ?

La première recherche de stage est un moment délicat pour quasiment chaque étudiant. D’une part, parce que c’est le premier pas dans la vie professionnelle : sur la base de ce qu’il a appris en cours et des quelques présentations d’entreprises auxquelles il a assisté, l’étudiant va devoir choisir un métier et un secteur, tout en sachant – ou pire, en l’ignorant – que cette expérience le suivra tout au long de son début de carrière, qu’il devra l’assumer et en justifier la cohérence avec son parcours et son projet professionnel – qu’il commence tout juste à esquisser. Il n’est plus temps d’essayer, il faut choisir. D’autre part, parce que c’est un exercice totalement nouveau : il ne s’agit pas ici de démontrer comme à un concours une connaissance mesurable – la connaissance d’un théorème, ou même la maîtrise d’une langue – il s’agit au contraire de montrer tout ce qui est purement subjectif : la capacité à s’adapter, à travailler dans une équipe, la motivation… et surtout de convaincre que l’on est la personne rêvée pour le poste face à de nombreux candidats… même si l’on est loin d’être certain de supporter ne serait-ce qu’une semaine de ce travail.

Et si, au lieu de se battre pour accrocher le nom d’un grand groupe connu en France ou à l’international à son CV, on se battait simplement pour un projet auquel on croit, une équipe dans laquelle on se sent bien ? Pourquoi ne pas tenter un stage dans une start-up ?

En effet, tout comme il est plus facile d’avoir écouté la discographie complète des Sex Pistols que de Bob Dylan, il est plus simple d’appréhender l’activité d’une start-up que d’un grand groupe, pour la simple raison de la différence de volume. Pour un étudiant en recherche de stage qui ne sait pas où il va mettre les pieds, il peut être intéressant de chercher dans un premier temps à aborder le monde professionnel par un projet de start-up qui l’intéresse. L’avantage, c’est qu’il est possible de savoir lors des entretiens si l’équipe dans laquelle on peut avoir l’occasion de travailler convient, car le ou les entretiens suffisent souvent à rencontrer toute l’entreprise. De plus, même si le sujet d’un stage en start-up n’est pas forcément plus compréhensible ou abordable que dans une entreprise de taille plus conséquente, le lien avec l’activité de la structure d’accueil peut être plus simple à cerner. Cependant, ce n’est pas ici que repose la vraie plus-value d’un stage en start-up : les différences perçues lors du choix du stage et du recrutement peuvent tout de même rester minimes.

Quel est, alors, l’avantage, suffisant pour motiver cet article, d’un stage en start-up ? Je vais commencer par donner l’exemple du premier stage, d’une durée de six mois, que j’ai réalisé durant mon année de césure. Je l’ai effectué dans une TPE (très petite entreprise), Succeed Together, qui organisait des séminaires interactifs d’entreprises grâce à son outil Meeting Software. Ce n’était pas une start-up à proprement parler puisqu’elle avait 5 ans d’existence, mais elles était dans cet état d’esprit – et même état tout court – qui caractérise les start-up : « en phase plus ou moins longue de développement d'un produit, d'une idée, d'une étude de marché, etc., et de recherche de partenaires » (source : Wikipedia). Alors que mon sujet de stage comprenait initialement deux axes de développement commercial et un de recherche et développement, je me suis rapidement retrouvé impliqué dans la vie de l’entreprise, son développement et les séminaires clients. J’ai pu, en six mois, passer de « stagiaire support » à celui d’acteur – modeste, certes – du succès de l’entreprise, en pilotant seul ou assisté des séminaires de 100 à 300 personnes. De mes autres expériences dans le monde professionnel, je sais qu’une telle progression aurait rarement été possible en me montrant simplement fiable et motivé dans une entreprise de taille plus importante.

Pour moi, c’est donc bien ici que repose le principal intérêt d’un stage en start-up – ou même en TPE. Un sujet de stage, même interne, permet d’être en contact direct ou indirect avec les clients et leurs problématiques, les décideurs stratégiques, les services financiers, les services support, marketing… Même si ces tâches internes sont souvent effectuées par les mêmes personnes, voire une seule, leur fonctionnement reste semblable à celui d’une PME – mais est souvent peu comparable à celui des grandes groupes. Il s’agit donc d’une expérience qui permet d’avoir un des scopes les plus larges que l’on puisse trouver au cours d’un stage.


Tenter l’aventure

Ceci est bien beau… Mais pourquoi une start-up irait-elle s’encombrer d’un stagiaire ? Pour de nombreuses raisons, parmi lesquelles le faible coût et l’apport de jeunesse – avec ce que cela peut impliquer : dynamisme, œil neuf, motivation… Attention cependant à ne pas se faire exploiter : il n’est pas normal de se faire imposer plus de 40 heures par semaines sans avoir son mot à dire, ou de se couper de toute vie sociale. Cela ne fait cependant pas de mal de s’investir dans un travail s’il est intéressant et gratifiant, au contraire : il serait dommage de se contenter de la logique du moindre effort et de se passer d’une si belle occasion d’apprendre. Je ne prétends cependant pas présenter ici le stage universel : tout le monde ne s’y plaira pas forcément. Il vaut donc mieux être autonome, prêt à partir à l’aventure et intéressé par le sujet ou le domaine.

Pour ceux qui se laisseraient tenter, ou souhaiteraient simplement découvrir le monde de l’entrepreneuriat pour ne pas se fermer cette porte, de nombreux moyens existent. Le premier est le Mash-up : par l’organisation de rencontres régulières à destination des étudiants, les organisateurs – une équipe d’élèves du master Management des Nouvelles Technologies HEC/Télécom ParisTech – ont l’ambition de créer la référence en termes de rencontres d’étudiants entrepreneurs, avec un concept fédérateur, rassemblant plus de participants à chaque édition. Les startup weekends sont aussi des rendez-vous phares qui permettent aux personnes motivées de travailler ensemble à la création d’une startup durant deux jours. De nombreux autres événements et conférences existent bien entendu sur le sujet. Quant au problème qui nous intéresse ici en particulier, à savoir trouver un stage dans une startup, vous pouvez notamment chercher du côté d’Enternships, Innovons Ensemble, et bien entendu tous les sites classiques d’offres de stages. Je dois cependant mettre en garde tous ceux qui souhaiteraient découvrir ce monde de l’entrepreneuriat : c’est un phénomène extrêmement contagieux, qui donne rapidement envie de tenter l’aventure !

Pour ceux qui toutefois ne souhaiteraient pas continuer dans le domaine de l’entrepreneuriat, est-il possible de rebondir ? La réponse est bien entendu oui, à condition d’être en mesure de justifier ce choix, ce qui reste relativement facile. En effet, un esprit entrepreneurial reste très largement valorisable dans le monde de l’entreprise, l’intrapreneuriat* y étant une notion de plus en plus répandue. Bien entendu, le stage en start-up reste une solution à destination de profils spécifiques, et n’est pas non plus la seule expérience entrepreneuriale : l’investissement en Junior-Entreprise, dont j’aurai l’occasion de reparler dans un prochain article, est également une excellente formation en la matière. Toujours est-il qu’une start-up est pour moi une formidable opportunité pour partir en stage… même s’il n’y a pas toujours de machine à café.


* l’intrapreneur est un « innovateur acteur de l’entreprise », comme le définit Véronique Hillen, directrice pédagogique du département Génie Industriel à l’École des Ponts ParisTech, elle-même novatrice en ce qui concerne la place de l’innovation dans la formation d’ingénieur

mardi 31 mai 2011

Les Grandes Écoles d’Ingénieurs dans la Tourmente


Je commence mes publications avec un article que j'ai écrit pour le site du Nouvel Ingénieur, une association dont je fais partie, et dont j'aurai l'occasion de reparler plus en détails très prochainement.

Je précise que cet article n'a pas de caractère politique, mais traite d'un problème de société qui dépasse largement les clivages gauche/droite.




Il faut supprimer les Grandes Écoles d’Ingénieurs. Voici la rengaine que l’on entend un peu trop en ce moment. Mais avant de crier à l’acharnement politique et médiatique, peut-être pouvons-nous prendre du recul par rapport à cette polémique actuelle, et chercher à en comprendre les raisons.


Depuis quelques mois, les articles dans la presse papier ou électronique se multiplient pour dénoncer les Grandes Écoles d’Ingénieurs, dinosaures qui auraient oublié de disparaître. Le Point, par exemple, répondait en janvier 2011 par l’affirmative à la question « Nos écoles d’ingénieurs sont-elles nulles ? », malgré plusieurs contradictions dans l’argumentaire. En réalité, ce regain d’intérêt soudain pour les Grandes Écoles fait suite aux récentes sorties des directeurs des universités françaises les plus prestigieuses (Sciences Po, Dauphine…), qui réclament leur droit à être reconnues comme formant l’élite, ainsi qu’à la remise en cause par leurs diplômés eux-mêmes de certains aspects de la formation délivrée dans les Grandes Écoles, en particulier dans les rapports publiés par l’Institut Montaigne ou l’ISAE Executive Club. Plus radical, le Mouvement des Jeunes Socialistes avait proposé début avril de fusionner Grandes Écoles et universités dans ses huit propositions. Le projet socialiste pour la présidentielle de 2012 opte pour une option plus mesurée, à savoir le rapprochement entre Grandes Écoles et universités. Début mai, Eva Joly proposait la suppression des Grandes Écoles dans son programme pour la présidentielle. Si les propositions de ce genre commencent seulement à apparaître, le débat n’est pas pour autant nouveau, puisque Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur, déclarait en octobre 2009 : « L’ascenseur social est bloqué, justement parce que nous ne savons pas faire évoluer nos concours, notamment ceux des grandes écoles », qui pourraient « se pench[er] sur le problème de la reproduction sociale qui est la leur ».


Qu’est-il exactement reproché aux Grandes Écoles ? Il serait un peu trop ambitieux de prétendre reprendre l’intégralité d’un vaste débat dans un simple article. Nous pouvons cependant passer en revue les principaux chefs d’accusation.


En premier lieu, l’inégalité est le principal travers des Grandes Écoles à être pointé du doigt par leurs détracteurs, qui pensent que seuls les enfants issus de familles riches y accèdent. C’est pourtant très éloigné de la réalité. En effet, contrairement au modèle anglo-saxon, brandi comme un étendard par leurs nombreux opposants, les Grandes Écoles d’Ingénieurs, publiques pour un grand nombre, dispensent une formation pour environ 1500 euros par an, c’est-à-dire les frais d’inscription, ce chiffre ne prenant pas en compte les bourses – 23 % des élèves étant boursiers. C’est certes moins accessible que l’université, mais cela n’a rien de comparable avec les dizaines de milliers de dollars que coûte une année d’étude aux Etats-Unis. Cette tendance à avoir en Grande École d’Ingénieurs une majorité d’étudiants issus des classes moyenne et aisée n’est pas pour autant une invention, bien que moins marquée que ce qui est souvent pointé du doigt. Il est pourtant difficile de blâmer pour cela les Grandes Écoles, alors que la sélection se fait sur concours, et donc évidemment sans aucun critère social. Si ce n’est toi, c’est donc ton frère : la prépa. Cependant, l’admission en prépa est uniquement basée sur le dossier scolaire. De plus, les places à l’internat, souvent bien moins chères qu’une chambre ou un appartement, sont réservées aux élèves les moins fortunés. La véritable raison de ce déséquilibre social en Grande École vient en fait de l’orientation dans les lycées, qui sont peu nombreux à conseiller une prépa à leurs élèves. Pourtant, le MJS se fait le porte-parole des « jeunes de France » en disant ne plus vouloir « de riches grandes écoles pour les riches et de pauvres universités pour les pauvres », à l’instar d’Eva Joly, pour qui « les Grandes Écoles sont au centre de l’inégalité française ». Certes, les Grandes Écoles sont une particularité française, mais les systèmes existant dans les autres pays ne sont pour la plupart pas moins inégaux, au contraire. Les Grandes Écoles ne sont donc pas à l’origine des inégalités dans l’enseignement supérieur, non égalitaire par nature : la répartition sociale est la même au niveau master dans les universités.


Le deuxième principal argument est l’élitisme des Grandes Écoles. Madame Joly étayait son propos en prenant l’exemple – alors présenté comme un argument – des « grands patrons des banques françaises [...] issus des mêmes grandes écoles » qui s’attribuent des « bonus injustifiables ». Malgré un raccourci un peu rapide, l’argument avancé est que les Grandes Écoles fabriquent une caste à part en formant « une élite qui a perdu de vue l’intérêt général ». Cet aspect est préoccupant, car perdre de vue cet intérêt général n’est pas dans l’esprit des Grandes Écoles, au contraire. Il faut cependant reconnaître que les interfaces avec le monde extérieur – les universités notamment – restent rares et mériteraient d’être développées. Plutôt qu’un prétexte pour supprimer les Grandes Écoles, je préfère y voir une piste d’amélioration. Pourquoi ? Parce qu’aucun système n’est parfait, et qu’il vaut mieux l’améliorer dans une démarche constructive que supprimer un système qui attire des étudiants du monde entier. Ce problème n’est d’ailleurs pas ignoré, et la Conférence des Grandes Écoles a publié en décembre 2010 un livre blanc centré sur l’ouverture sociale. Un des points de blocage du débat vient du fait que par Grandes Écoles, le grand public entend surtout les dérives des meilleurs étudiants des meilleures écoles. Ce raisonnement est d’autant plus dommageable – surtout lorsque l’on se réclame de l’intérêt général – qu’il oublie la majorité des quelques 30 000 ingénieurs diplômés des Grandes Écoles chaque année, qui pour la plupart n’aspirent qu’à vivre leur vie, faire avancer la recherche ou créer une entreprise et des emplois… et non pas dominer le monde.


Il serait pourtant faux de dire que les Grandes Écoles ne sont pas élitiste. Seulement, à l’élitisme pointé du doigt par les détracteurs, s’oppose l’élitisme défendu par les partisans. Oui, les Grandes Écoles sont élitistes, au sens où elles sont sélectives. Le nombre de place étant limité – comme pour toute formation – il est préférable de sélectionner les élèves que l’on formera. C’est d’ailleurs également le cas de Sciences Po, de Dauphine, des Grandes Universités partout dans le monde… Bref, de tous les systèmes qui sont régulièrement présentés comme supérieurs aux Grandes Écoles. Si l’on peut trouver un consensus sur le besoin de sélectionner, c’est le mode de sélection qui pose problème. En effet, d’aucun reprochent au concours de n’être qu’une restitution sans valeur ajoutée après deux années de bachotage en prépa. Cet argument étant majoritairement avancé par des personnes n’ayant jamais passé ces concours, et démenti par la plupart de ceux qui les ont passés, il semble plutôt fragile, tant une dissertation ou un problème mathématique sont dans les faits éloignés de cette description. En revanche, jouer toute sa vie sur quelques jours de concours peut être remis en question – et l’est dans les faits. Mais les propositions pour remplacer ce modèle divergent, et aucun modèle plus cohérent n’a été identifié jusqu’ici.


Je n’ambitionne pas d’avoir réglé le débat par ces quelques paragraphes, et je ne le désire pas : le débat sur les Grandes Écoles est tout à fait souhaitable. Cependant, le temps est actuellement plus à la polémique qu’au débat, et les passions y ont beaucoup plus de place que la raison. Des améliorations sont bien sûr possibles en Grandes Écoles d’Ingénieurs : les élèves aimeraient avoir plus de contacts avec le monde professionnel, plus de possibilités pour choisir leur cursus, une plus grande reconnaissance de la vie associative ou encore un poids plus important auprès de leurs administrations. Des enjeux majeurs au niveau micro, couplés à d’autres enjeux au niveau macro, tels les rapprochements entre écoles, avec les universités… Tant de défis passionnants à aborder en collaboration, et non pas en opposition détracteurs contre partisans. Les Grandes Écoles ne sont pas éternelles, j’en suis conscient, mais plutôt que d’anéantir leur héritage et leur mode de fonctionnement, autant prendre le temps de rapprocher Grandes Écoles et universités, en commençant par ne pas les opposer. L’association étudiante Le Nouvel Ingénieur a été créée pour agir dans le sens d’une démarche constructive telle que celle-ci : prendre part au débat, assimiler les critiques pour mieux pouvoir adapter la formation d’ingénieur. Je ne prétends pas que les Grandes Écoles sont la meilleure formation au monde, ni même en France, mais je suis convaincu qu’elles méritent une place dans le paysage de l’enseignement supérieur français et international.