La
question n'est pas nouvelle, et elle revient même de plus en plus souvent sur
le devant de la scène : à quoi sert un diplôme ? Le cas du patron
imposteur de l'aéroport de Limoges la soulève de nouveau, de manière
insolite : une personne qualifiée pour cet emploi aurait-elle, finalement, fait
un boulot aussi "formidable" ?
Diplôme
et compétences, deux notions de plus en plus distinctes
Bien sûr, n'allons pas jusqu'à encourager une
imposture ou la mythomanie : face à un recruteur, l'honnêteté reste toujours de
mise. Cependant, un cas de ce type nous pousse à nous interroger : si une
personne sans qualification ni expérience est en mesure de faire l'illusion en
comparaison des professionnels ayant occupé ce poste et face à d’autres
professionnels, est-ce grâce aux capacités extraordinaires de cet individu ou à
la faible valeur des diplômes... voire de l'expérience dans ce cas ?
Du côté des étudiants eux-mêmes, on en trouvera pour nier
en bloc l'apport de leur formation, d'autres pour l'encenser, et d'autres
encore, qui auront comparé deux modèles - faculté et grande école, par exemple,
ou France et étranger - feront la promotion de l'un aux dépends de l'autre. A
qui donner raison ? A tous, semblerait-il : une formation n'a finalement que
l'intérêt qu'on lui porte, et certains pourront tirer parti d'une formation qui
correspond à leur caractère, leurs intérêts ou leurs attentes, tandis que
d'autres n'y verront pas le moindre point positif. Pas un n'est à blâmer pour
autant : aucune formation n'est adaptée à tout le monde.
Pourtant, le résultat direct sera une très grande
disparité entre les élèves dans l'apprentissage, l'assimilation et
l'acquisition de compétence. Ainsi, un élève d'une des grandes écoles les plus
prestigieuses pourra être diplômé en étant bien moins compétent qu'un autre
élève sortant d'une école de bas de tableau dans le même domaine.
Les
classements : de plus en plus innovants, mais toujours aussi dépourvus de sens
Les classements d'établissements, quels qu'ils soient,
n'ont donc malheureusement qu'un sens très limité. On pourrait imaginer, à
l'image de l'indice évolutif mis en
place pour les 50 ans de l'OCDE, un classement personnalisable par chaque
élève. Le résultat serait encore bien trop biaisé, car ce qui importe vraiment,
à savoir la "philosophie" de l'enseignement, n'est pas vraiment
mesurable, et l'élève ne saura pas lui-même ce qu'il recherche avant d'avoir
testé.
Ces dernières années, les classements des grandes
écoles se sont faits de plus en plus nombreux et innovants, en proposant de
nouveaux angles d'approche et en bouleversant l'ordre établi. Même si certains
sont intéressants, d'autres sont d'un ridicule extrême, comme celui
demandant à des lycéens de classer des écoles qu'ils ne connaissent pas.
Finalement, l'ensemble ne fait qu'amplifier un peu plus la confusion qui règne
autour de ces classements et gêne la bonne compréhension des différences véritables
existant entre ces établissements.
Diplômes et
compétences vus pas les entreprises
Du point de vue des entreprises, l'équation semble nettement
moins complexe que pour les étudiants choisissant un établissement. En effet,
grâce au phénomène ancestral qui fait que les meilleurs élèves de classes
préparatoires choisiront la meilleure école - en termes de prestige, un
classement immuable - qu'ils pourront intégrer, les recruteurs des grandes
entreprises peuvent se contenter de cibler les écoles les plus prestigieuses,
de faire un écrémage léger en entretien, et ils seront assurés d'obtenir des
candidats de très bonne qualité. Ou plus exactement qui auront réussi en deux
ou trois ans à maîtriser quasi parfaitement le programme de classes préparatoires.
Il s'agit là d'une double erreur. D'une part, les
compétences attendues sont souvent aux antipodes du travail effectué en prépa,
ou même du parcours académique en grande école. D'autre part, ils négligent
ainsi tous les étudiants qui se seront révélés dans le cursus beaucoup plus
"pratique" des grandes écoles, mais sans être dans les établissements
les plus prestigieux. Ceci sans mentionner la pratique encore plus réductrice de certains professionnels consistant à recruter uniquement les élèves sortant de leur propre école. Bien
entendu, ce principe est des plus contestables, puisque les élèves sortent
peut-être du même moule - encore faut-il que celui-ci n'ait pas changé
entretemps - mais il faudrait également qu'ils aient bien accepté ce moule, et
rien n'est moins sûr. Ces stratégies de recrutement engendrent des campagnes de
communication, très importantes en termes de moyens, ciblées sur un très petit
nombre d'écoles. À signaler, le cas curieux des grands cabinets de conseil en
stratégie, qui testent de manière approfondie les compétences des candidats à travers des épreuves
pratiques, mais n'en restent pas moins extrêmement sélectifs sur les écoles
cibles.
Il faut cependant préciser les avancées phénoménales
effectuées dans ce domaine par certaines entreprises, qui donnent leur chance à
tous les candidats, quelle que soit leur origine - fac, grandes écoles... -
mais il ne s'agit pas encore du cas le plus répandu. Certaines sociétés misent
aussi sur des compétences particulières, telles que celles apprises en
association durant la scolarité : c'est le cas par exemple des partenaires des
Junior-Entreprises qui favorisent les anciens membres de ces associations dans
leur processus de recrutement.
Du prestige
hérité à une différentiation assumée
Finalement, tous les diplômes se valent-ils ? Non, car chaque
établissement a ses spécificités. Seulement, la principale différence retenue
en pratique est la différence de prestige, qui prend son sens dans la mesure où
traditionnellement les étudiants de prépa se tourneront vers les écoles les plus
renommées. Les véritables différences existant au niveau de la formation reçue
sont ainsi totalement marginalisées, alors que quatre écoles d’ingénieurs généralistes
de haut de tableau telles que Polytechnique, les Mines, Centrale et les Ponts
sont chacune très différente des autres en termes de cursus proposé.
Quelle solution à cette situation ? Tout d'abord, que les écoles
continuent sur leur lancée, ayant pour la plupart déjà pris conscience du fait que leur
prestige ne leur garantira pas indéfiniment leur place. Pour cela, il faudra
qu'elles mettent de plus en plus l'accent sur leurs facteurs différenciant, en
cessant de prétendre comme elles le font actuellement qu'elles sont les
meilleures dans tous les domaines et sous tous les aspects. Enfin, il faudra
que les étudiants tout comme les entreprises réussissent à s'adapter à ce
nouveau modèle, en sélectionnant les écoles selon des critères plus personnels,
et non plus selon un classement sans âge. Le modèle s’orientant de plus en plus
vers une sélection des diplômés plutôt que des diplômes, les étudiants vont
devoir suivre une stratégie de différentiation pour faire face au nombre grandissant
des concurrents potentiels, ceci grâce à leur parcours personnels, leurs choix
académiques, leur investissement dans les associations scolaires, leurs
engagements extra-scolaires et leurs choix professionnels, tels que les stages,
césures et autres VIE. La route semble encore longue pour tous ces acteurs de la
formation et l’insertion professionnelle, mais il s'agira pourtant très bientôt
d'une condition de survie, tant la perception des écoles change rapidement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire