mardi 7 février 2012

Peut-on s'unir sans fusionner ?

Synergies, économies d’échelle, complémentarité, différentiation… Les raisons de s’unir, que ce soit à l’échelle d’associations, d’établissements ou même d’états sont multiples. Cependant, même si ces rapprochements sont simples et profitables à tous sur le papier, la mise en œuvre n’est pas pour autant évidente, et de nombreux projets ambitieux battent de l’aile, ou ont échoué pour certains.

Derrière une union, une vision

Précédent et guidant chaque rassemblement, il y a une vision : Gandhi mena les indiens dans une marche du sel pour l’indépendance de l’Inde, Hassan II mobilisa le peuple marocain lors de la marche verte pour récupérer le Sahara occidental…
Du côté des organisations également, les premiers fondements de l’Union Européenne se sont posés vers 1950 quand quelques nations européennes, sous l’impulsion de l’Allemagne, de la France et du Royaume-Uni, ont vu l’opportunité de s’associer afin de simplifier et de sécuriser les échanges de charbon et d’acier. Récemment, l’Union Européenne s’est dirigée vers un rassemblement tout autant économique que politique ou judiciaire pour suivre un but commun d’unité européenne sur le plan international tout comme dans des aspects de politique intérieure de plus en plus nombreux.
Concernant l’enseignement supérieur, on peut également commenter le cas de ParisTech, association de 12 Grandes Écoles visant à créer un établissement qui puisse rivaliser en taille, en domaines de compétences, en excellence et en réputation avec les plus grandes universités mondiales.

De la coopération aux réalisations

Ces visions et ces ambitions affichées se transformèrent au fil du temps en actes, qui donnèrent lieux à des résultats concrets. L’Union Européenne parvint notamment à créer l’Euro et l’espace Schengen, et à augmenter fortement le nombre de pays membres en intégrant de petits acteurs à la motivation dépassant même celle de certains des acteurs les plus anciens et influents de l’Union.
ParisTech, de son côté, réussit à acquérir une réputation internationale : là où les noms des Grandes Écoles françaises sont toujours autant inconnus, la mention de ParisTech est en revanche significative, en Chine comme aux États-Unis, par exemple. Par ailleurs, les passerelles se sont multipliées entre les écoles, permettant aux élèves de croiser les cursus, ou simplement  d’assister aux cours d’autres établissements.

Les bâtons dans les roues

Cependant, cette progression semble être irrémédiablement freinée à partir d’un certain stade d'avancée, les écueils étant en effet nombreux. Des différences idéologiques, ou simplement de conception du but de l’organisation peuvent notamment exister. Dans l’Union Européenne, par exemple, il faut non seulement compter avec les gouvernements de tous bords des différents pays membres... mais ceux-ci changent de plus régulièrement, et chaque nation a une vision particulière de l’Union, en phase avec sa culture et ses acquis sociaux : une Europe sociale, monétaire, économique, politique, judiciaire, policière, militaire… De la même manière, plusieurs visions s’opposent au sein de ParisTech, d’une association d’écoles cherchant des synergies, à une université de classe internationale bâtie autour de l’École Polytechnique, en passant par une université construite par la fusion des écoles membres, qui aurait pu être amorcée par la fusion de l’École des Mines et de l’École des Ponts, avortée en 2004. La confrontation de ces visions concurrentes est bien entendu alimentée par la bataille des égos des membres, qui peuvent parfois être gargantuesques comme dans le cas des écoles membres de ParisTech, toutes parmi les meilleures dans leur domaine de compétence, et souhaitant avant tout protéger leur identité et leur diplôme.
Face à ces divergences au sujet de la conception que chacun a de l’objet même du rassemblement, même si un consensus peut souvent être trouvé, certains électrons libres s’opposeront invariablement aux projets, ou se désolidariseront de toute initiative. On peut notamment citer le cas du Royaume-Uni en Europe, qui a refusé l’Euro, l’espace Schengen, et plus récemment le pacte de discipline budgétaire.
La liste est ici loin d’être exhaustive, mais on peut aussi citer parmi les obstacles sur la route de la coopération l’inertie créée par les rassemblements, qui, s’ils ne sont pas dotés d’instances dirigeantes dédiées, dotées d’un pouvoir de décision suffisant, peuvent très rapidement sombrer dans l’immobilisme – comme les nombreux « sommets de la dernière chance » pour l’Europe en 2011 l'attestent. Par ailleurs, étant donné que les avantages théoriques du rassemblement sont nombreux, il est logique que les membres se lancent simultanément dans plusieurs organisations, comme au sein de ParisTech où l’École des Ponts s’investit également au sein de Paris Est, et Télécom avec l’Institut Télécom.

Vers un échec programmé ?

Les rassemblements de cette nature sont-ils pour autant voués à l’échec ? Afin d’analyser les mécanismes à l’œuvre, je vais utiliser l’exemple de Juniors ParisTech, spin-off de ParisTech au niveau des Junior-Entreprises. Cet exemple est bien entendu ridicule en termes d’échelle comparé aux deux précédents, mais il a l’avantage de m’être bien plus familier, et l'on y retrouve les mêmes leviers.
Tout d’abord, un rassemblement tel que nous l'avons abordé n’est possible qu’à la condition d’engager les membres : à partir de la vision commune définie, il est nécessaire de convaincre un à un les membres potentiels afin de leur permettre de se retrouver dans cette aventure commune. Cependant, l’enthousiasme qui en résulte est totalement inutile s’il n’est pas canalisé et concentré sur des objectifs et un plan d’action précis. Dans le cas de l’UE et de ParisTech, ce stade a été dépassé avec succès. Malgré cela, la motivation des membres doit être entretenue durant la marche des opérations, ce que ParisTech a partiellement échoué à faire.
Une fois cette première étape franchie, même si les membres de l'organisation font preuve de bonne volonté et agissent dans le cadre d'une stratégie commune avec des processus bien définis, l'écueil de l'inertie est très difficile à éviter, même lorsque les membres sont une poignée d'associations de taille modeste et que l'équipe dirigeante est à la fois motivée est engagée : toute action nécessitant la participation d'un ou plusieurs des membres sera quasi-automatiquement retardée. Ensuite, même si la question de la préservation de l'identité des membres et de la construction d'une identité commune a été abordée, la cohabitation de ces deux notions pour chacun des membres est difficile à gérer, et la coordination au niveau de la fédération est encore plus ardue - chacun privilégiant bien entendu sa propre identité, plus simple à comprendre et à gérer au quotidien.
Enfin, même si la coopération semble acquise malgré cette légère schizophrénie identitaire, on se heurte très rapidement aux différences d'interprétation des principes du groupement, même s'ils semblaient clairs et simples initialement, le clivage étant, pour simplifier, une répartition des membres entre les deux extrêmes "le regroupement n'a qu'une fonction support" et "le regroupement doit être fusionnel".
La conclusion que j'ai tirée de cette expérience, c'est que la meilleure chance de succès pour un regroupement de ce type est de se positionner dans une de ces deux conditions extrêmes, c'est-à-dire une simple fonction support, ou un rassemblement ayant pour objectif une fusion à moyen terme. Toute position intermédiaire, forcément plus difficile à définir, sera sujette à des interprétations divergentes et risquera d'entraîner une lutte de pouvoir pour se rapprocher d'un de ces deux extrêmes. Dans tous les cas, le positionnement doit être clair pour tous les membres, qui doivent y adhérer sans la moindre condition.

Quel avenir ?

Par conséquent, quel avenir pour l'Union Européenne ? Je n'ai pas la prétention de l'entrevoir mieux que les nombreux analystes s'étant déjà penché sur le sujet. La lutte de pouvoir pour déterminer l'orientation de l'Union en ce temps de crise n'aura cependant échappé à personne, et parmi les différents scénarios envisagés, il est aisé d'identifier les deux scénarios extrêmes : d'une part l'explosion de la zone euro, qui ébranlerait sérieusement les fondations de l'Union, d'autre part la constitution d'une union politique, débouchant éventuellement vers de véritables  États-Unis d'Europe. Bien entendu, la grande inconnue reste encore la direction qui sera prise, qui dépendra en partie de nombreux facteurs extérieurs.
Pour ParisTech, malgré des débuts très prometteurs et des résultats encore très encourageants, les signaux semblent être au rouge, comme l'illustre la récente décision à la dernière minute de l' École des Mines de ne pas rejoindre le plateau de Saclay comme cela était prévu.
Même si le rassemblement reste en théorie très attractif, encore faut-il passer l'examen pratique.

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